Quoi ?
Vivre, c’est vouloir : c’est-à-dire souffrir des douleurs.
Si Descartes a écrit « je pense donc je suis » (Discours), Schopenhauer aurait pu écrire « je veux donc je suis ». La volonté sous-tend la vie. Par différence d’avec le sens le plus commun, la volonté (der Wille) désigne chez Schopenhauer une force qui échappe à l’individu et le détermine à son insu.
Pourquoi ?
La vie est douleur : vouloir, c’est viser quelque chose qui, pour lors, demeure hors de portée – je veux manger tant que je n’ai pas atteint la satiété. C’est là manquer et, donc, souffrir : avoir faim provoque des douleurs. Pétrie de vouloir, la vie est par conséquent d’abord douleur.
La vie est souffrance : si la vie tend certes vers le contentement et donc vers la cessation de douleurs, il n’en reste pas moins qu’une fois le manque comblé plus rien n’est à vouloir – l’objet jusqu’alors visé est désormais atteint. S’installe l’ennui, où le vouloir est dépourvu d’objet à désirer et se perd – sauf à trouver un nouvel objet à désirer.
→ Bref, puisque vivre, c’est vouloir, et puisque vouloir, c’est œuvrer à atteindre la satisfaction, la vie cherche bien d’abord à dissiper la douleur liée au manque ; mais, une fois la satiété atteinte, surgit l’ennui, par lequel la satisfaction se révèle être elle-même manque… du manque, c’est-à-dire manque d’un objet à désirer. Pour la vie, « vouloir et désirer » est « tout à fait comparable à une soif inextinguible » (Le Monde comme Volonté et Représentation, §57). Voilà pourquoi, « tel un pendule », la vie consiste à « balancer[r] entre la douleur et l’ennui » (ibid.).
Qui ?
Les éternels insatisfaits !
→ L’inéluctable basculement dans le désir d’un nouvel objet après avoir atteint un premier antérieurement désiré, c’est ce qu’illustre Dom Juan (Molière) : à peine a-t-il séduit, qu’il se met en quête d’une nouvelle femme à séduire. C’est également ce qu’illustre Emma Bovary (Flaubert) : à peine a-t-elle séduit, qu’elle se lance en quête d’un nouvel amant.
Comment ?
Dans la société de consommation, pas de manque : l’objet visé est aussitôt donné. En conséquence, il s’impose de trouver d’autant plus vite un nouvel objet à désirer : d’où une production effrénée. À peine le dernier smartphone est-il en vente que la publicité fait aussitôt désirer le modèle suivant.
Voilà qui illustre de manière contemporaine la thèse schopenhauerienne : on est d’autant plus vite précipité dans le désir d’un nouvel objet qu’on a été rapidement satisfait, car de la satisfaction la vie ne saurait se satisfaire.
Ce qui donne…
Vivre requiert d’accepter le manque et de se refuser à une satisfaction instantanée !
