Rendre sa voix à l’étranger – Réflexions sur l’interprétariat en milieu social en France

La Pause Philo s’interroge sur les pratiques de l’interprétariat en milieu social en France, une activité méconnue qui a surgi pour répondre à la nécessité de faciliter la communication des primo-arrivants non-francophones en France. Derrière cette démarche se cache un métier complexe, soulevant de multiples problématiques éthiques. 

Lorsque l’on se retrouve dans un pays étranger sans la maîtrise de la langue, comment parler de soi ou, dans le pire des cas, d’un traumatisme ou d’une maladie ? Imaginez-vous en Mongolie sans parler un mot de mongole, et devant pourtant expliquer à un médecin les maux qui vous touchent : une situation stressante, pouvant même être traumatisante, qui est pourtant le quotidien de nombreux immigrés au sein de leur pays d’accueil. 

C’est dans ce type de contexte que l’interprétariat en milieu social intervient : une barrière se lève par la médiation d’un interprète qui devient la voix de la personne cherchant à se faire entendre et comprendre. Pouvoir exprimer nos besoins, nos espoirs, nos attentes ou encore nos peurs, nous permet de préserver notre intégrité, notre dignité, de créer des liens humains, de survivre et tout simplement de communiquer. 

Ces médiateurs linguistiques et culturels participent à l’intégration et à l’égalité d’accès aux services publics de la part des personnes étrangères. Comment est né l’interprétariat social ? Quels sont les enjeux sociaux derrière ces pratiques méconnues du métier d’interprète ? Quels sont les impacts produits concrètement par cette activité ?

Genèse de l’interprétariat social en France

L’interprétariat, souvent confondu avec la traduction, a pourtant une différence avec celle-ci, car il s’effectue par la voie orale tandis que la traduction s’effectue au travers de l’écriture. Dans l’interprétariat en milieu social, l’interprète permet un dialogue entre la personne non-francophone et celle qui est en face d’elle. Par exemple, dans une consultation médicale, le patient peut avoir un dialogue avec le médecin par la voie de l’interprète, et le médecin peut donc de son côté établir un diagnostic.

D’après l’article d’Ali Ben Ameur “L’interprétariat au milieu social, l’interprétariat a été d’abord considéré comme indispensable dans les champs de la diplomatie, du commerce ou des conférences internationales. En France, les champs administratif, social et médical n’ont fait l’objet d’un intérêt de la part des interprètes que plus tard, vers les années 1970. L’interprétariat à but social est devenu un outil nécessaire dans une société qui s’enrichit et grandit grâce à l’arrivée des personnes étrangères dans le territoire français. Au fil des années, l’interprétariat social a donc connu un important développement et cela malgré les résistances et la méfiance qu’il peut susciter. Aujourd’hui, il est pratiqué dans les hôpitaux, les centres de protection maternelle et infantile, mais aussi dans les tribunaux et les préfectures.

Quand la langue modèle nos modes de pensée

Si l’interprétariat social est devenue un métier à part entière, il conserve une inscription dans un cadre où l’humain, l’émotionnel et la communication interagissent constamment, donnant vie ainsi à des questions éthiques. En effet, au-delà de la maîtrise des deux langues à traduire, une connaissance de la culture du pays d’origine et de la société française, ainsi que la terminologie et le fonctionnement des structures d’intervention sont nécessaires. L’interprète, auteur de l’activité, est confronté à des situations uniques. Il est porteur d’un discours de vie où, dans certains cas, il n’y a pas de traces tangibles, écrites ou autres, mais du vécu. 

On parle ici “d’interprétation”, et ce terme reflète la difficulté et la subtilité de l’exercice de traduire des émotions et des ressentis d’une langue à l’autre. Dans certaines situations, on ne réfléchit pas de la même façon en fonction de la langue que l’on utilise entre, par exemple, notre langue maternelle que l’on utilise à la maison, et celle de notre pays d’accueil que l’on emploie avec l’administration et les institutions. En effet, en fonction du vocabulaire dont nous disposons, nous pouvons formuler avec plus ou moins de précision nos pensées. Par exemple, dans certaines langues comme les afghanes, le mot “pied” -dans le langage familier- comprend toute la jambe et le pied, tandis qu’en français chacune de ces parties a une appellation différente : voici un exemple de comment la langue a une influence sur la construction de nos systèmes de pensée, et de comment une interprétation inexacte peut avoir de lourdes conséquences.

Une éthique pour la pratique de l’interprétariat ?

Au delà de la précision de l’interprétation, les personnes non-francophones se confient, voire dans certains cas s’abandonnent envers l’interprète, en touchant parfois des sphères très intimes, souvent complexes, que l’on ne peut exprimer que par sa langue maternelle. Par exemple, dans un récit de vie dans le cadre d’une demande d’asile, la personne doit expliquer à l’interprète de la façon dont elle est arrivée, pour quelle raison elle a pris la décision de partir, en fuyant une guerre ou une autre situation délicate. Elle lui confie sa vulnérabilité et lui accorde sa confiance pour restituer au mieux ses propos. Dans ce contexte, l’échange entre les deux parties impose une éthique basée sur la neutralité, le respect des personnes, la fidélité du discours traduit ainsi que le respect du secret professionnel.

Un défi d’intégration 

Sans s’opposer à l’apprentissage de la langue française, puisqu’il ne s’agit pas que la personne devient dépendant de l’interprète, l’utilisation de l’interprétariat social fait face à l’un des défis qui se présente dans l’immigration, celui de l’intégration. Comprendre par le moyen d’un interprète les droits et les devoirs et, plus généralement, les questions sociales du pays d’accueil permet de faire un premier pas vers l’intégration des étrangers. 

 

Cet article m’a été inspiré de mon expérience professionnelle et, sans être exhaustif, il aurait pu aborder plusieurs sujets qui découlent de l’interprétariat social, telle que la démarche interculturelle présente dans l’activité. L’éventail est large. L’interprétariat en milieu social est une activité qui reste méconnue voir inconnue par certains d’entre nous, elle fait néanmoins partie d’une réalité qui nous entoure, celle de l’immigration, de la nécessité d’intégration et du besoin de compréhension. Elle confronte quotidiennement les distances entre deux cultures, entre deux contextes linguistiques, et contribue à abattre les barrières qui les séparent.

 

Un article réalisé par Lina Pulido  Toutes ses publications

 

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