Survivre aux fêtes quand on est vegan : entre engagement et pression sociale

Si les régimes végétariens (on ne mange pas de chair animale) et vegans (on ne consomme rien issu de l’exploitation des animaux, allant jusqu’à supprimer le lait, les œufs, le cuir,…) tendent à être de plus en plus répandus, les fêtes de fin d’année riment souvent avec gêne et embarras pour les adeptes de ces régimes alimentaires souvent mal acceptés. La moindre réunion de famille se transforme en exercice de rhétorique éprouvant, où le vegan esseulé se doit d’encaisser l’incompréhension générale, en mangeant son “faux-gras” sous les remarques consternées de ceux qui engloutissent huîtres et escargots sans y réfléchir à deux fois… Une situation parfois exaspérante ou bien cocasse, qui nous offre de quoi vous introduire à l’éthique animale et à l’engagement militant !

LE POIDS DU STIGMATE

Vous avez sans doute envie de dire que “stigmate” c’est peut-être un peu fort comme mot pour parler de régimes alimentaires (vu que c’est un truc que l’on choisi et, qu’aux dernières nouvelles, personne ne nous met de couteau sous la gorge), mais nous reprenons ici la définition du sociologue Erving Goffman, pour qui le stigmate est un attribut ayant des effets sur la constitution de l’identité individuelle dans l’interaction. L’identification d’un individu comme étant vegan, inévitable lors d’un repas, construit l’image sociale de celui-ci : le véganisme constitue sa façade personnelle, un prisme par lequel son identité est définie. Impossible de contourner cet aspect dans l’interaction en question, il s’agit donc un stigmate. L’attribution du stigmate dépend très largement du contexte et peut très bien disparaître dès lors que ce trait n’a plus aucune importance.

Nous prenons ici l’exemple du régime alimentaire, mais cela s’applique à n’importe quelle “tare” ou trait qui distingue une personne au sein d’un groupe. À moins d’être l’individu moyen de base tel qu’on se le représente dans l’imaginaire collectif, c’est-à-dire grosso modo un jeune père de famille, marié, blanc, citadin, hétéro, diplômé, employé à plein temps, en bonne santé, d’un bon poids, d’une taille suffisante, pratiquant un sport, etc., on sera forcément stigmatisé à un moment de notre vie selon Goffman.

funny-vegetarian-memeIl doit y avoir une erreur, tu m’as accidentellement donné la nourriture que ma nourriture mange

Les fêtes de fin d’année offrent de multiples occasions d’être stigmatisés pour la plupart des vegans, où ne pas manger de produits issus de l’exploitation des animaux constitue un reniement violent des traditions familiales et ruine la convivialité du moment. Du foie gras à la bûche, aucun des plats de fête n’est adapté à ce régime alimentaire, ce qui implique le plus souvent d’avoir préparé son propre repas ou bien de ne manger que les légumes en accompagnement. Ceci marque nécessairement une singularité au sein de la tablée, car la chair animale est un incontournable des moments de convivialité : de très importantes significations sociales y sont associées, et il est difficile d’imaginer se faire plaisir autrement qu’avec de bonnes viandes et de bons fromages, en particulier en France. Ceci est d’autant plus visible lors des fêtes de fin d’année, où l’on met en avant de nombreux mets de luxe spécialement pour l’occasion… Il y a des aliments inférieurs et d’autres qui font honneur : on se construit socialement par l’alimentation, qui est au fondement des identités collectives. Si on ajoute à tout cela les pensées magiques du type “tu es ce que tu manges”, on voit très vite que les vegans ne sont pas vraiment du côté prestigieux de la force… La tension est donc très grande entre ce qui est socialement accepté, valorisé et partagé, et la discipline de soi que l’on s’impose en allant à contre-courant.

” TU POURRAIS FAIRE UNE EXCEPTION QUAND MÊME… ”
LA MORALE AVANT LA BOUFFE !

Pourquoi ne pas faire d’exception une fois dans l’année ? Si c’est si lourd que ça socialement, ne serait-il pas plus simple de manger cette maudite part de bûche pleine de beurre ?

Vu que chaque événement social peut constituer une occasion de transgression, nous ne rentrerons pas dans le débat autour du fait que, si les vegans cédaient à chaque fois qu’on leur sort ce prétexte, ils en seraient à une consommation annuelle de 25 parts de gâteau d’anniversaire (au bas mot), et nous allons ici plutôt regarder l’engagement éthique qu’il y a derrière.

En envisageant le véganisme sous l’angle de l’alimentation, l’idée de faire une exception aurait effectivement du sens puisque, comme dans n’importe quel régime destiné à maigrir, on pourrait s’autoriser à quelques écarts. Si les bases du véganisme sont claires (ne consommer aucun produit issu de l’exploitation animale), chacun possède ses propres motivations, souvent très éloignées du raisonnement strictement diététique ressorti à toutes les sauces dès lors qu’il s’agit de banaliser ce régime auprès du grand public. Du coup, face aux remarques en tout genre des autres convives (l’éternel refrain : “mais tu vas avoir des carences en protéines !”, “qu’est-ce que te fais croire que la carotte ne souffre pas quand tu la coupes ?”, “le lion mange la gazelle !”) , il peut être dur de faire entendre le discours éthique.

tumblr_mgma3kNI5g1rhf11xo1_400Je ne mentionne pas toujours que je ne mange pas de viande ou de produits laitiers, mais quand je le fais, tout le monde devient un expert en protéines

Pourtant, la philosophie n’a pas manqué de se pencher sur la question de la condition animale, et de multiples courants offrent aux défenseurs de la cause de quoi nourrir leur engagement et leurs argumentations (pas certain que ça suffise à en boucher un coin à tonton-chasseur, mais au moins vous aurez essayé !).
La position utilitariste de Peter Singer est actuellement la plus défendue chez les défenseurs des animaux, notamment grâce au concept fort d’anti-spécisme, permettant de placer cette lutte à une échelle globale. L’anti-spécisme stipule que l’espèce, paramètre strictement biologique, n’est pas un critère suffisant pour déterminer la manière dont on doit traiter un individu, ou quels droits lui accorder. C’est un peu le même principe que le féminisme ou l’anti-racisme, où l’on réfute que le genre ou la couleur de peau soient des critères suffisants pour déterminer la supériorité d’un groupe sur un autre, sauf qu’ici il est étendu à l’échelle inter-espèces. Les animaux souffrent tout autant que les humains et ressentent du plaisir, ce qui pour les utilitaristes justifie le fait que l’on doive également maximiser leur bonheur, puisque selon cette doctrine nos actions doivent être effectuées de façon à augmenter le plaisir et diminuer la peine dans le monde. Autrement dit, compte-tenu du peu de bienfaits que nous en tirons comparé à la souffrance engendrée, être vegan est une conduite moralement obligatoire. Le cas de la souffrance individuelle de l’animal et du plaisir temporaire ressenti par l’humain mangeant un steak sont ainsi replacés dans une toute autre perspective : est-ce que ça valait vraiment le coup ? Il s’agit de prendre en compte les conséquences concrètes du repas, en tant qu’acte délibéré et dont nous ignorons bien souvent les coulisses. Une fois que l’on a intégré cette façon d’envisager son alimentation, difficile de revenir en arrière…

Être vegan ce n’est pas seulement un choix alimentaire, l’engagement est très différent, qu’il soit éthique comme exposé ici, ou bien politique, spirituel, émotionnel, voire un mélange de tout ça, c’est quelque chose qui est incorporé et intégré à l’identité. Le poids du stigmate et de la pression sociale constituent finalement un facteur de renforcement des convictions, puisque lâcher prise le temps d’un repas et céder à la gourmandise reviendrait finalement à renier sa propre identité. Pour ne pas perdre la face, il convient donc de faire preuve de résilience et d’encaisser les remarques. Tenir le coup autour d’une table est déjà un acte militant !

Un article par Marianne Mercier Toutes ses publications

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