Le « combat » fut rude entre Barbie et Oppenheimer, deux films sortis au même moment dans les salles de cinéma durant l’été 2023. Bien entendu, les discussions furent nombreuses autour du film teinté de rose, les effets du mouvement d’égalité femme-homme y sont certainement pour quelque chose. Pour autant, le film Oppenheimer multi oscarisé marqua les esprits sur un tout autre registre.
Produit et réalisé par Christopher Nolan, Oppenheimer relate le parcours du célèbre scientifique à l’origine de la bombe atomique. Sorti en mars 2024 au Japon, soit huit mois plus tard que dans le reste du monde dans le seul pays a avoir été touché par l’arme atomique, le récit continue de soulever des questionnements éthiques. Comment concilier progrès scientifique et préservation du bien commun ? Comment éviter que la prise de conscience éthique n’arrive « trop tard » ?
Pour élaborer des pistes de réflexion sur ce sujet qui hante les XXe et XXIe siècle, Sophie Sendra et Antonin Curioni ont ouvert un dialogue philosophique.
Sophie Sendra : Une des premières réflexions qui me vient à l’esprit, est celle inspirée par la phrase de François Rabelais « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Cette formule peut contenir plusieurs interprétations mais j’en retiendrais deux. La première est que selon Rabelais « la science » (pour lui synonyme de « connaissance » et non pas de « science » au sens contemporain) doit être élargie à tout ce qui peut alimenter une conscience ouverte. En d’autres termes, la science sans la conscience et l’appétit dans tous les domaines du savoir n’est que ruine de l’âme, donc de l’esprit curieux. La deuxième interprétation est celle, plus moderne, qui interroge la science (et au-delà, la technologie) comme devant porter à son attention une conscience, une éthique de ce qu’elle entreprend au risque de s’éloigner du Bien commun. En cela, la fin du film Oppenheimer montre un certain désarroi du scientifique dans l’application de ses recherches fondamentales, même si ce fut pour lui une quête de tous les instants. On peut alors s’interroger : si la science porte sa réflexion avant sa recherche fondamentale, elle est susceptible de se « brider », de se censurer et de ne pas faire feu de tout bois en matière de connaissance. Il me semble alors que la science se trouve dans un dilemme éthique. Se ruinerait-elle à « conscientiser » ce vers quoi elle voudrait se diriger ? Si elle ne vérifie pas ce qu’elle a trouvé en théorie, ne se trouve-t-elle pas dans une impasse ? Robert Oppenheimer pouvait effectuer des recherches sur l’atome, devait-il pour autant valider sa théorie ? Les mouvements du monde l’y ont incité, mais en dehors de cela aurait-il fallu tout de même que ses travaux aboutissent sur ce terrain guerrier ? D’un côté le risque de ruiner l’esprit de la connaissance, de l’autre le risque de « s’empêcher » donc de réduire la connaissance. Le dilemme est ici semble-t-il.
Antonin Curioni : Le dilemme que tu énonces là caractérise la science moderne ou, plus précisément, le progrès scientifique moderne. Comme le souligne Arendt dans le Prologue de la Condition de l’homme moderne (1958) : contre toute attente, plutôt qu’il n’émerveille, le progrès technique permis par les recherches scientifiques soulage. Arendt prend l’exemple du premier satellite envoyé dans l’espace, face auquel « la réaction immédiate » a été « le soulagement de voir accompli le premier ‘’pas vers l’évasion des hommes hors de la prison terrestre’’ ». Pourtant, trois ans plus tard, le dernier article de La Crise de la culture (1961) s’interroge : « la conquête de l’espace par l’homme a-t-elle augmenté ou diminué sa dimension ? ». Et là où cet article rejoint le propos de notre discussion, c’est qu’il dissocie le progrès scientifique et technique et ce qu’Arendt nomme « la dimension de l’homme », c’est-à-dire la question éthique. Pourquoi la démarche scientifique devrait-elle mettre de côté les questionnements éthiques ? Précisément pour ce que tu évoques, Sophie : ces questions freineraient les progrès scientifiques et / ou techniques, jusqu’à les empêcher. L’éthique n’est plus prise en considération par le savant, qui cherche à pro-gresser – littéralement : avancer vers l’avant. Arendt prend l’exemple de la fission de l’atome : c’est là un exemple de ce que « pour autant qu’il se comporte en savant, l’homme ne se soucie guère de sa propre dimension […] ». En effet, l’homme est par là l’artisan de ce qui menace sa propre existence. Or, n’est-ce pas ce qui est mis à l’image par Christopher Nolan dans Oppenheimer ?
Ce qui permet à Oppenheimer d’avancer son projet, c’est de faire fi des conséquences potentielles de son travail. Et, cela se confirme par l’effet que les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki ont sur lui : constatant, en acte, les événements auxquels ont conduit ses découvertes, il cherche à réfréner le développement technique permis par ses travaux.
Je finirai ce point par la mention de ce par quoi termine l’article de La Crise de la culture que j’ai mobilisé : c’est à l’homme de la sphère non-scientifique – « le profane et l’humaniste » par différence d’avec « le savant », selon les mots d’Arendt – que le questionnement éthique revient. Et, dans le cas de la science moderne, quand bien même il ne se poserait pas lui-même de questions éthiques – pour éviter de brider son avancée et ses découvertes, le scientifique ne saurait ne pas entendre ce questionnement qui lui est adressé de l’extérieur. Là encore, le comportement d’Oppenheimer qui, après avoir vu les effets délétères auxquels ont conduit sa découverte, m’apparaît être une prise de conscience déclenchée par un retour – non sans violence – de la question éthique, boudée en amont. Et, disons-le clairement : la sphère profane qui, de l’extérieur, adresse la question éthique au progrès scientifique et technique et, en cela, provoque le retour de bâton à l’origine – et peut-être même au fondement – d’une remise en question du scientifique qu’est Oppenheimer, c’est entre autres la philosophie.
Sophie : J’ai toujours pensé que la philosophie se faisait par rebonds, alors faisons des ricochets dans notre discussions et nous verrons bien vers quoi cela nous mène Antonin. Les références à Hannah Arendt auxquelles tu fais appel, ont eu une existence après les valeurs affirmées à juste titre dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 (à la suite du « Code de Nuremberg » de 1947). Ces valeurs de la Recherche ont permis de mettre en exergue des règles de la Recherche Ethique et bioéthique par la suite ainsi qu’une déontologie de la recherche. D’ailleurs, la loi interdit certaines recherches dans certains domaines liés à la bioéthique (dans le domaine du vivant en général). Pour autant la recherche fondamentale peut et doit chercher sans censure afin de réinterroger les paradigmes existants comme l’expliquait Thomas Kuhn dans La structure des révolutions scientifiques. Faudrait-il que la recherche fondamentale s’interdise de passer à « la matière », à l’application, à l’accréditation des théories ? Les réflexions éthiques préalables sont-elles possibles ou ne doivent-elles se produire toujours qu’après coup ? Car dans le film Oppenheimer, c’est « après coup » que les réflexions s’entament. Quant à la progression et au progrès lui-même dont tu parles, le fait « d’avancer vers l’avant » donne l’impression que, quoi qu’il arrive, il s’agit de quelque chose de toujours positif. Peut-on avancer « à reculons » ? Certains voudraient y croire en termes de valeurs rétrogrades, d’autres voudraient « décroitre » pour mieux utiliser une recherche qui avancerait selon eux dans la mauvaise direction. Le progrès est souvent associé à l’espoir, aux avancées pour la connaissance (que ce soit scientifiques ou technologiques). Or la philosophie, permet une « pause » face au phénomène (ce qui apparait), elle questionne le Sens dans les trois acceptions du terme : sensation, direction et signification et c’est peut-être en cela qu’Hannah Arendt s’interroge à nouveau en 1961. La science, qu’elle soit basée sur de la recherche fondamentale ou de la recherche appliquée ne se questionne pas sur la question du Sens, ce que fait Robert Oppenheimer après la découverte de l’horreur de l’application de ses recherches. Si je prends l’acception qu’est la direction, la science doit s’interroger sur ce vers quoi se dirigent ses recherches ; si je prends celle de la signification, elle doit s’interroger sur la portée de ses actions appliquées. Injonctions du Devoir ? Peut-être… C’est l’éternelle question qui s’opère et qui demeure malgré les injonctions possibles sus mentionnées entre « peut-on » et « doit-on ». Si la science s’interroge après coup, c’est trop tard ; si elle le fait en amont, même grâce à un tiers, elle s’empêche. Toutefois, les recherches sur l’atome ont permis des avancées technologiques (les centrales nucléaires, la médecine, les accélérateurs de particules, les particules subatomiques et bien d’autres choses encore). Fallait-il « avancer de l’avant » mais sur un autre chemin ? La philosophie permet sans doute de regarder les autres cheminements qui s’offrent à la science. Enfin, la philosophie au travers de l’éthique permet-elle à la science une réflexion sur son hubris ? Quant à la troisième acception du mot Sens, la sensation, elle est certainement à décrypter dans le jeu d’acteur de Cillian Murphy qui joue le rôle de Robert Oppenheimer : entre stupeur, effroi et une certaine nausée. Bien entendu, cette thématique que nous évoquons toi et moi, engage une réflexion globale qui se fait certainement jour avec les défis auxquels la science est confrontée actuellement en matière d’Intelligence Artificielle.
Antonin : La question de savoir si l’on doit réaliser tout ce que l’on peut réaliser se révèle être intrinsèque à la question de savoir ce que l’on peut faire – quoiqu’on l’oublie souvent. En effet, si pouvoir renvoie à la capacité, pouvoir renvoie également à l’autorisation : que l’adolescent ne puisse sortir du domicile parental la nuit ne signifie pas qu’à la tombée de la nuit il perd subitement la capacité de tourner la clé et d’abaisser la poignée, mais bien qu’il n’est pas autorisé à déambuler aux heures nocturnes. Aussi fais-tu bien, Sophie, de reposer explicitement cette dualité entre le pouvoir et le devoir, qui ne peuvent quoi qu’il en soit être réellement séparés l’un de l’autre bien qu’ils demeurent tous deux distincts l’un de l’autre. La question éthique, en fait, se révèle être sous-jacente à la question du progrès scientifique : si elle n’y apparaît pas explicitement, n’est-ce pas qu’elle est comme refoulée – au sens où l’entend la psychanalyse d’orientation freudo-lacanienne ? Lorsque tu rappelles que c’est dans l’après-coup que Robert Oppenheimer se frotte à la question éthique, cela montre qu’il faut une prise de conscience pour aller au-devant de ce questionnement. En psychanalyse – et tu en sais quelque chose, n’est-ce pas – il ne saurait y avoir de refoulé sans retour du refoulé : les symptômes, pour commencer, et, ensuite, par le travail analytique, la prise de conscience du contenu évacué vers l’inconscient. Affronter les enjeux éthiques que soulève le progrès scientifique n’est pas spontané ; il faut d’abord prendre conscience de ce qu’ils sont là et, ensuite, avoir les moyens de les traiter.
Et, quitte à être entré dans une perspective psychanalytique, autant y rester pour aborder l’idée de progrès : en analyse, le sujet avance toujours, même lorsqu’il lui semble faire du sur-place, voire régresser. Et, le progrès est de toute évidence une marche positive, c’est-à-dire tournée vers l’avant – pas forcément positive au sens de « ce qui est bien » ; et l’on ne peut qu’avancer… Réhabiliter des valeurs passées ne me semble pas tant être un retour en arrière qu’un nouveau pas en avant : le passé est passé et puis c’est tout. Lorsque je me souviens de mon enfance, je la revis, d’une certaine manière, mais je la re-vis, c’est-à-dire la vis sur un autre mode que celui où je l’ai primitivement vécue ; il en va de même pour le retour de certaines valeurs passées : elles peuvent bien revenir et être réactualisées, il n’empêche qu’elles sont irréductiblement nouvelles. Il n’y a pas de retour en arrière possible – pour nous du moins, qui sommes des « êtres-pour-la-mort », selon l’expression de Heidegger. Là c’est à une lecture plus métaphorique du film de Nolan que m’amène notre discussion, mais enfin pourquoi pas : R. Oppenheimer avance (pro-gresse), c’est-à-dire, tout simplement, vit, puis, soudainement, il prend conscience de ce qu’il est en direction de la mort (symbolisée ici par la bombe atomique à l’horizon du progrès scientifique accompli par ses recherches). Mettant tout en œuvre pour ralentir cette marche vers l’arme atomique, Oppenheimer m’apparaît alors être pareil au sujet qui, face à la mort en général et à sa propre mort en particulier, est saisi d’angoisse et tente de tout faire pour y remédier – fut-ce se réfugier dans le déni. Là où nous abordions le film de Ch. Nolan au prisme du champ moral, ne s’avère-t-il pas qu’il invite également à entrer dans le champ métaphysique et à le lire par le biais existentiel ? La stupeur, l’effroi, la nausée visibles dans le jeu d’acteur de C. Murphy et sur lesquels tu attirais mon attention n’en sont-ils pas la marque ?
Il existe cette distinction entre le temps de l’action et le temps de la réflexion ; le second étant plus étiré que le premier. Et, si la science, comme recherche, pourrait d’abord être située sur le pan de la réflexion, aux côtés de la philosophie, j’ai pourtant bien l’impression que notre discussion et la lecture d’Oppenheimer qu’elle produit invite à placer la science sur le pan de l’action… ou, du moins, à l’extraire de la réflexion, au sens d’une affirmation fameuse de Heidegger : « la science ne pense pas ». Il n’est pas du tout question de dire que la science est une démarche aveugle ; il s’agit plutôt de dire qu’afin de bien voir dans la direction qui lui est propre – le progrès, la science est contrainte de se détourner de la question éthique : « la science ne se meut pas dans la dimension de la philosophie », poursuit Heidegger afin d’expliquer son affirmation pour le moins… surprenante au premier regard – surtout lorsqu’on définit la science comme démarche rationnellement élaborée. Plus on avance – ou plutôt : plus on pro-gresse ! – dans notre discussion, Sophie, et plus j’ai l’impression qu’Oppenheimer résonne avec ce type de questionnement philosophique qui a animé le début du XXème. Or, ce film sort en 2023… soit un peu moins d’un siècle après et à l’ère de l’IA, que tu convoques avec pertinence, me semble-t-il ! Alors même qu’il est classé dans le genre « historique », le film de Nolan qui nous occupe dirait quelque chose de pourtant bel et bien contemporain…
Sophie : Je pense que la question éthique en matière de recherche scientifique montre bel et bien une prise de conscience, mais ce cheminement n’a pu se faire semble-t-il qu’après la seconde guerre mondiale. Désormais, les questions éthiques se forment en général avant la signification et la direction d’une recherche, sur les questions liées au vivant notamment (expérimentation humaine, animale, manipulations génétiques etc.). Pour le reste des sciences, et notamment la recherche fondamentale, l’éthique ne se pose pas. En fait, comme tout bon scientifique, R. Oppenheimer est dans la droite ligne de G. Bachelard pour qui un esprit scientifique est celui qui considère que toute connaissance est une réponse à une question, sans cette dernière il ne peut y avoir de connaissance (La formation de l’esprit scientifique). En revanche, la responsabilité morale des scientifiques dans la science appliquée est posée au travers du film. L’invention de la bombe A n’empêcha pas la création de la bombe H en 1952 par Edward Teller (qui travailla également aux cotés de R. Oppenheimer dans le projet Manhattan, objet également du film de C. Nolan). Je me demande finalement si la question éthique ne nous est pas adressée, à nous spectateurs, par le réalisateur lui-même au regard de la conjoncture géopolitique actuelle. R. Oppenheimer est confronté au principe de réalité après avoir entretenu le principe de plaisir. Afin d’accéder à la réponse à sa question, il « évacue » ce qui pourrait être source de déplaisir, y compris l’idée de la mort. Le principe de réalité, s’il avait joué son rôle régulateur, R. Oppenheimer aurait sans doute mis en action son jugement et ses doutes quant à l’application de ses recherches sur les électrons et les atomes. L’Histoire que l’on connait aurait sans doute été changée, mais quelle direction aurait-elle prise si son principe de plaisir n’avait pas été à son terme. D’un autre côté, le refoulement est aussi bénéfique pour l’esprit, il permet parfois à l’individu d’aller de l’avant malgré les questionnements, les traumatismes. Cela évite les angoisses. Ici, R. Oppenheimer refoule sans doute avant sa prise de conscience, l’aspect mortifère de sa création. Le principe de réalité réside en la constatation que la douleur et la mort sont visibles, sous ses yeux juste après l’explosion. C’est peut-être cet « être vers la mort » qu’Oppenheimer conscientise, comme tu le dis. Outre ce que tu soulèves en termes psychanalytiques, j’y vois une sublimation de la part de R. Oppenheimer. Mais comme disait André Green dans La folie Privée (1990) il y a une limite dans l’analyse de ces personnages de l’Histoire, car pour lui les génies sont « à la limite de l’analysable ». Ainsi je reste prudente sur une analyse possible.
La Renaissance est une réhabilitation de valeurs passées pour se diriger vers une progression et une nouvelle naissance, ainsi on « avance » comme tu le dis, mais être « rétrograde » n’engage en rien un progrès bien au contraire. En voulant rétablir un passé, cet état qui tient de l’illusion, s’oppose à une évolution. En cela il est possible de considérer que réhabiliter des valeurs passées ne soit pas une « avancée » mais bel et bien un retour au point de départ sans possibilité d’y intégrer un quelconque progrès. Quant au regard philosophique sur la science, l’épistémologie permet une étude critique de la connaissance scientifique, de ses principes et de ses résultats. En cela le film de C. Nolan est à mon sens une possibilité de faire varier le regard que nous portons sur la « délimitation et l’articulation » des domaines scientifiques comme le disait Husserl dans ses Recherches Logiques – Prolégomènes à la logique pure (1901). La réflexion épistémologique sur le film Oppenheimer de C. Nolan est en cela à mettre en exergue avec les domaines telle que l’IA, dont le créateur Geoffrey Hinton réalise après-coup de l’impact mortifère possible sur l’humanité. Un point commun se fait jour entre ces deux créateurs : la créature leur échappe. En guise d’avertissement C. Nolan semble associé le personnage d’Oppenheimer à celui de Prométhée, un parmi d’autres dans notre Histoire humaine semble-t-il. C. Nolan tente-t-il ici d’être Héraclès ? Les réponses que nous pouvons apporter ici sont toujours provisoires, les questions, elles, sont et seront toujours permanentes, c’est ce qui rapproche les sciences et la philosophie en tout temps et en tout lieu. C’est ici pour moi, une possibilité d’une conclusion sur nos échanges, mais je suis certaine que la discussion se poursuivra dans le temps, car le sujet est tentaculaire.
Antonin : Bien sûr, notre discussion pourrait encore se poursuivre un certain temps… d’autant plus que nous ne sommes apparemment pas complètement d’accord sur la question du progrès ! Mais puisqu’il est temps de conclure, je me contenterai de rebondir sur un point, que tu viens d’évoquer et qu’il me semblerait dommage de ne pas relever : la référence à Prométhée – qui a d’ailleurs déjà été convoqué, récemment, par un article de La Pause Philo. Je ne saurais dire s’il faut faire de R. Oppenheimer, dans le film de C. Nolan, un avatar de Prométhée ; cependant, l’économie-même du film est l’illustration idoine du Prométhée que Hans Jonas qualifie de « déchaîné », dans les pages liminaires du Principe-responsabilité. La technique – allégoriquement présente dans la figure de Prométhée – échappe à celui-là même qui lui a donné forme : la technique de R. Oppenheimer lui échappe de telle sorte, comme tu le dis, que la créature échappe à son créateur. Et, effectivement, c’est le caractère déchaîné de ce Prométhée contemporain qui appelle la démarche scientifique à une nouvelle posture ; laquelle posture consiste à mener de front la prévenance éthique et l’avancée des recherches.
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Aussi apparaît-il, au terme de cette discussion, que ce film de Nolan donne prise à une réflexion philosophique sur le progrès scientifique et ses rapports à la question éthique. Et, même si l’objet du film est historique, il n’empêche qu’Oppenheimer résonne avec et nous fait raisonner sur des actualités qui nous sont tout à fait contemporaines.
Un dialogue entre Sophie Sendra et Antonin Curioni