Guillotine Divine

“Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué !” – Nietzsche

Quoi ?

Peut-on tuer Dieu? N’est-ce pas absurde d’annoncer la mort de quelque chose qui se veut, par définition, éternelle? Dans cette formule, Nietzsche ne s’attaque pas seulement à l’idée de Dieu, mais surtout à celle de la religion qui perd peu à peu sa force au cours du XIXème siècle.

Grand critique des “valeurs judéo-chrétiennes” qui ont fait croire que la force était une faiblesse et la faiblesse une force, Nietzsche constate à travers cette mort de Dieu la “déchristianisation” de la société et de ses valeurs morales plus que de l’existence ou non de Dieu.

Cette célèbre formule nietzschéenne est tirée de l’aphorisme 125 du Gai Savoir (1882), mais on la retrouve aussi dans d’autres textes, notamment dans Ainsi parlait Zarathoustra (1883). Le philosophe allemand reprend et inverse une formule qu’on trouvait au Psaume 14 de la Bible (“L’insensé a dit en son cœur : il n’y a point de Dieu”).

Pourquoi ?

Contrairement aux apparences, l’insensé de l’aphorisme 125 n’est pas ici un “fou” ou un “délirant”, mais celui qui dit haut et fort ce que l’on n’ose pas entendre. Il est celui qui exprime avec force des vérités “humaines, trop humaines”, il nous rappelle la critique de la religion, la montée de l’athéisme et de la laïcité.

 Cet insensé peut faire penser à l’Idiot de Dostoïevski (1868). Ce personnage fondamentalement bon et d’une naïveté exacerbée est pris pour un fou par les autres. Pourtant, il possède une compréhension très fine du monde et ses analyses politiques et philosophiques sont très justes. 

En demandant dans la suite de l’aphorisme : “la grandeur de cet acte n’est-elle pas trop grande pour nous ? Ne sommes-nous pas forcés de devenir nous-mêmes des dieux simplement — ne fût-ce que pour paraître dignes d’eux ?”, l’insensé rappelle la responsabilité sociale qui incombe au peuple de recréer des valeurs morales puissantes et de ne pas tomber dans le nihilisme.

 Le nihilisme, c’est la capacité qu’ont les hommes de remettre en question, voire même de refuser le sens de la vie et des valeurs qui guident nos actions. En rejetant le système de valeur judéo-chrétien, le risque est de tomber dans un nihilisme complet où la vie n’a plus de sens et où le désespoir nous dévorerait. Contrairement à son maître à penser, Schopenhauer (1788-1860), Nietzsche refuse de considérer la vie comme désespoir, souffrance et violence : la force de notre vie et de toutes nos actions doit être utilisée pour détruire les fausses idoles, mais seulement si elles permettent de construire et de créer des valeurs plus fortes et plus justes.

Qui ?

Nietzsche s’adresse ici à :

  • Ceux qui refusent de voir la mort de Dieu pour éviter l’angoisse de devoir prendre en main le monde de demain.
  • Aux nihilistes qui se laissent aller au désespoir.

Comment ?

Prenez conscience du monde qui vous entoure, et agissez ! Pour Nietzsche, ça passe par une reconstruction des valeurs qu’il décrit au début d’Ainsi parlait Zarathoustra par les 3 métaphores du chameau, du lion et de l’enfant :

  • Le Chameau est l’étape où nous portons sur notre dos l’ensemble des valeurs qui nous précédent. Elles sont tellement intégrées à nos manières de faire que nous n’en avons même pas conscience.
  • Le Lion est l’étape où nous prenons conscience de ces valeurs et de leur héritage, le moment où nous les déconstruisons et cherchons à les détruire pour mieux reconstruire.
  • Enfin, l’Enfant est l’étape de l’innocence et de la nouveauté : des ruines des anciennes valeurs, nous devons faire émerger un monde nouveau et plus puissant.

Ce qui donne…

C’est à nous qu’il revient de construire les valeurs de demain !

 

 

Une citation commentée par Nicolas Bouteloup Toutes ses publications

Illustration par Killian Pelletier Toutes ses illustrations

7 commentaires pour ““Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué !” – Nietzsche

  1. Si Friedrich Nietsche a pu dire “Dieu est mort”, il se référait là, bien évidemment, au “dieu des philosophes et des savants”! A cette idole de l’esprit qu’on tente de construire depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, afin de pouvoir séparer le bien du mal. Depuis le dualisme platonicien, qui concevait une double réalité: “ici-bas” le monde matériel, où tout est imparfait, et “là-haut”, le monde spirituel des idées parfaits; en passant par René Descartes, qui renouait avec cette conception dualiste du monde (res extensa, res cogitans); jusqu’à nos jours, où tout est présenté sous forme dualiste, y inclus la physique (l’univers conçu comme un amas de particules qui évoluent dans la “boîte” de l’espace-temps, qui leur impose ses lois). Et “l’homme” se croit être l’unique intelligence dans tout cela!
    Nous sommes là bien tombés dans un manichéisme profond! On ne peut pas séparer le bien du mal, car il n’y a qu’un seul principe de l’univers: Dieu, “car c’est en Lui, que nous avons, en effet, la vie, le mouvement, et l’être”, comme le confessait Paul de Tarse devant les savants incrédules de l’Aréopage d’Athènes. La réalité unique de l’univers comporte à la fois l’être, le mouvement (étudié par la physique) et la vie (l’esprit, l’autonomie de décision des êtres vivants, qui peut devenir source de bien et de mal, de mérite et de faute). Si nous nous considérons des êtres vivants et intelligentes, l’univers, qui nous a produits, doit bien posséder vie et intelligence en un degré bien supérieur au nôtre!
    Ne soyons donc pas aveugles du point de vue scientifique pour méconnaître la réalité, et ne soyons pas non plus des manichéens qui veulent séparer le bien du mal en “ici et là”. Bien et mal sont en nous, et continuellement en lutte, mais comme le disait Paul de Tarse en un autre endroit, il y a également des puissances spirituelles dans cet univers, qui ne nous veulent pas toujours du bien: “Car nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les dominations, contre les autorités, contre les princes de ce monde de ténèbres, contre les esprits méchants dans les lieux célestes”. L’intelligence fondamentale de l’univers, qui nous a produits, c’est elle qui nous veut du bien.

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