« Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. » : à la suite de cette citation de Pascal précédemment décryptée sur notre site, nous vous proposons d’approfondir la question et de faire de l’ennui un véritable atout de sagesse pour votre vie de confiné·e !
« Restez chez vous. Prenez soin de vous et de vos proches. » Depuis quelques semaines, nos existences sont impactées par un événement sans précédent : le confinement sanitaire. Nous voilà pour la plupart obligés, à l’échelle mondiale, de rester chez nous et de réinventer nos quotidiens.
Pour certains, le confinement est l’opportunité de créer de nouvelles formes de travail, d’occupations et de relation avec les autres. D’autres le voient comme un défi, celui de maintenir un mode de vie sain malgré la sédentarité qu’il occasionne.
Mais pour la plupart il représente une bête qui menace, tapie dans l’ombre des appartements et des maisons, la bête de la vacuité et de l’ennui : comment réagirions-nous si le confinement se prolongeait encore et encore ? Que ferions-nous s’il s’attardait, s’il s’éternisait ? Et si nous arrivions à cours d’idées d’occupation, ou de motivation ? Ou pire, si nos connexions internet étaient soudainement coupées ?
Petite prise de recul philosophique sur ce phénomène extraordinaire, sur les peurs qu’il peut occasionner, et comment transformer ces peurs en outils de sagesse.
Confinement, enfermement et claustrophobie
« Confinement » trouve son origine dans le latin confinis. Le préfixe con signifie « avec », tandis que finis désigne la limite, la borne, la frontière, la clôture, la fin, les confins. Dans son sens premier, l’acte de confiner vise à fixer des bornes en terre pour circonscrire un territoire. De ce point de vue, le confinement constitue une pratique sociale tout à fait ordinaire : un loup confine lorsqu’il urine pour marquer son territoire, autant qu’une personne lorsqu’elle devient propriétaire d’une maison.
Si le confinement nous amène ordinairement à poser des frontières, donc des limites dans l’espace, ce confinement extraordinaire nous im-pose celles de notre foyer. Dans ce contexte, la multitude des activités extérieures qui font notre quotidien se situent désormais en territoire étranger. C’est ce que nous appelons communément une « quarantaine », terme issu de la quarantena italienne qui imposa, déjà au XVIIème siècle, quarante jours d’isolement forcé aux Vénitiens.
Mais au-delà de ça, en quoi ce conditionnement spatial et temporel nous touche si particulièrement ? En ce qu’il nous enferme : l’en-fermement, littéralement « fermer en », « fermer à l’intérieur », impose effectivement les frontières hermétiques d’un espace clos dont on ne peut pas sortir ; on pense alors à la cellule et aux verrous d’une prison. À partir de là, ce qui rend notre confinement potentiellement redoutable n’est pas tant notre liberté de mouvement limitée, que la clôture et l’hermétisme de l’espace en soi, et ce à quoi ils nous renvoient possiblement : la peur du clos, littéralement la claustro-phobie, de sa forme la plus légère – la vacuité et l’ennui – aux pathologies qu’elle peut susciter – suffocation, angoisse, désespoir –.
Traverser l’ennui
Comment dès lors ne pas subir psychologiquement cet enfermement, mais le transformer en occasion de sagesse ? Pascal nous donne une réponse intéressante dans ses Pensées : « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. […] On ne recherche les conversations et les divertissements des jeux que parce qu’on ne peut demeurer chez soi avec plaisir. »[1] En effet, « rien n’est si insupportable à l’homme que d’être dans un plein repos, sans passion, sans affaire, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide. Incontinent, il sortira du fond de son âme l’ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir. »[2]
Ce qui amène notre sentiment de claustrophobie n’est donc pas tant l’enfermement tel quel, mais bien plutôt notre incapacité à gérer le vide et l’ennui qu’il occasionne, en ce qu’il nous prive de nos occupations habituelles (ce que Pascal qualifie de divertissements). Car l’enfermement nous oblige, au fond, à revenir en nous et à nous observer nous-mêmes : « ôtez [aux hommes] leur divertissement, vous les verrez se sécher d’ennui. Ils sentent alors leur néant sans le connaître, car c’est bien être malheureux que d’être dans une tristesse insupportable aussitôt qu’on en est réduit à se considérer, et à n’en être point diverti. »[3]
Ainsi, « la seule chose qui nous console de nos misères est le divertissement. Et cependant c’est la plus grande de nos misères. Car c’est cela qui nous empêche principalement de songer à nous, et qui nous faire perdre insensiblement. Sans cela nous serions dans l’ennui, et cet ennui nous pousserait à chercher un moyen plus solide d’en sortir, mais le divertissement nous amuse et nous fait arriver insensiblement à la mort. »[4]
Pour Pascal donc, le plus grand ennemi de notre véritable bonheur est l’ennui, en ce qu’il nous fait nous fuir nous-mêmes pour nous oublier dans les divertissements. L’ennui vient du latin odium, la haine, qui a donné le terme « odieux », et désignait originellement un tourment : l’ennui est le tourment causé par la haine de notre vide intérieur.
Et si, comme l’évoque également Pascal, l’ennui était contre toute attente la clé d’un plus grand bonheur ? Plutôt que de constamment le fuir, si on plongeait plutôt en lui pour le traverser puis le dépasser, en entreprenant ce que nous avons communément si peur d’entreprendre : entrer en soi, se faire face et s’observer soi-même ? Non pas en observation passive, mais en contemplation active, en restant attentifs à ce qui se passe en nous, ici et maintenant. Par cet acte méditatif courageux qui fait de l’ennui un outil de rencontre avec soi-même, commence véritablement l’aventure philosophique : celle de la connaissance de soi qui ouvre à un meilleure compréhension des autres et de son monde.
Méditer, avec philosophie
Dans ce repos fertile, nous ressentons et pensons avec plus de paix et d’acuité. Nous devenons dès lors capables de nous détacher émotionnellement des circonstances de vie qui nous troublent et nous impactent tant au quotidien. Comme les Stoïciens de l’Antiquité grecque et latine, nous pouvons prendre conscience que ces circonstances, toujours hasardeuses et changeantes, ne dépendent pas de nous : nous n’avons en effet aucune emprise sur ce qui se passe autour de nous et qui nous contraint d’une manière ou d’une autre, que ce soit une pandémie, une famine ou une bonne fortune. En revanche, nous sommes maîtres de ce qui se passe en nous, par conséquent des pensées et des jugements, positifs ou négatifs, que nous portons sur ce qui nous arrive.
Pour trouver la paix par-delà l’enfermement, c’est donc notre manière de penser ce qui nous arrive qu’il faut chercher à transformer, plutôt que les choses elles-mêmes. Attention, il ne s’agit pas pour les Stoïciens de passivement se résigner à nos circonstances de vie, aussi injustes soient elles ; mais bien plutôt de les accepter et de les accueillir comme si nous les avions choisies, et d’agir selon nos possibilités, dans notre périmètre de responsabilité.
Ainsi Descartes, quelques siècles plus tard, se propose-t-il également de « tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune et à changer mes désirs que l’ordre du monde ; et généralement, de m’accoutumer à croire qu’il n’y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir, que nos pensées, en sorte qu’après que nous avons fait notre mieux, touchant les choses qui nous sont extérieures, tout ce qui manque de nous réussir est, au regard de nous, absolument impossible. » Chaque circonstance, heureuse ou malheureuse, est l’occasion précieuse d’entrer en soi, de prendre du recul, et de se transformer soi-même.
Pratiquer quotidiennement cette manière de penser et de vivre ouvre ainsi les portes de l’idéal de sagesse des Stoïciens : l’ataraxie, littéralement l’absence de troubles dans notre esprit. Cultiver au quotidien un mode de pensée d’acceptation sincère vis-à-vis de nos circonstances de vie, quelles qu’elles soient, permet ainsi de générer en soi un sentiment de paix et de liberté profondes. Que nous soyons en confinement, en prison ou tout à fait libres de nos mouvements, l’ataraxie nous permet de faire de notre for intérieur un lac paisible qu’aucune pluie ne vient troubler, et qui reflète le ciel en son sein.
Pour prendre réellement soin de soi en ces temps de confinement et en faire l’occasion d’une véritable transformation de soi, souhaitons-nous donc à la manière des Stoïciens l’ataraxie, cette paix profonde de l’esprit, aussi fondamentale que la santé du corps.
Pour aller plus loin :
La citation décryptée de Blaise Pascal : « Tout le malheur des hommes vient de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. »
Vous lirez avec profit le Manuel d’ÉPICTÈTE (50-125 ap. J-C).
Un article par Tristan Bitsch Toutes ses publications
[1] PASCAL, Pensées, Folio Classique, Paris, Gallimard, 2004, Fragment 126, p. 118.
[2] Ibid., Fragment 529, p. 360.
[3] Ibid., Fragment 33, p. 75.
[4] Ibid., Fragment 393, p. 243.
Belle invitation à la méditation!
Eh oui, « J’ai trouvé mon île au trésor. Je l’ai trouvée dans mon monde intérieur, dans mes rencontres, dans mon travail… » citation de Hugo Pratt
À méditer et à vivre!
Foutaises!