Qu’est-ce qu’un chef en démocratie ?, Jean-Claude Monod (2012) – Note de Lecture

Le rapport entre le peuple démocratique et ses gouvernants est un inépuisable pourvoyeur de sujets d’étonnement. Il invite à se demander si la gouvernance démocratique n’aurait pas un rapport schizophrénique avec le charisme individuel.

Pour examiner cette question, Jean-Claude Monod utilise dans son ouvrage une grande variété d’approches : sociologique, phénoménologique, historique et organisationnelle. Cette pluralité méthodologique est concomitante de la concentration de son propos autour du concept dominant de “charisme”. C’est ce dernier qui permet à Jean-Claude Monod de discuter des contradictions qui opposent le charisme personnel à la légitimité démocratique.

On le sait, la mystique du chef a participé des pires constructions idéologiques du XXe siècle.

La démocratie représente aujourd’hui une forme de pouvoir qui doit s’approcher autant que possible d’un gouvernement du peuple par lui-même, mais qui, dans un même temps, doit se défier d’une administration acéphale et irresponsable devant ce même peuple.

Ce livre entreprend ainsi d’éclairer la figure problématique – mais peut-être nécessaire – d’un chef en démocratie et tente de définir ce que serait un « charisme démocratique ».

 


Les points clefs :

Le chef dont l’autorité repose sur le charisme a-t-il une place en démocratie ? Au regard des atrocités portées par des leaders charismatiques au cours du XXe siècle, la question vaut d’être étudiée.

C’est en affinant les risques et bénéfices qui sont les potentiels résultats des liens entre charisme et démocratie que l’auteur défend l’intérêt d’une typologie des “chefs” en environnement démocratique

La démocratie a peut être besoin de chefs pour lutter contre les risques que représentent les pouvoirs impersonnels et donc irresponsables (comme celui de l’argent)

Le livre en 1 question :  Une démocratie peut-elle se passer de chef ?


Couverture du livre "Qu'est-ce qu'un chef en démocratie ?"
Couverture du livre Qu’est-ce qu’un chef en démocratie ? de Jean-Claude Monod, Seuil “L’ordre philosophique”, 2012

Charisme et démocratie : Je t’aime. Moi non plus !

 

Les interventions martiales qui scandent notre quotidien depuis le début de la pandémie de COVID-19 plongent certains d’entre nous dans des abîmes de perplexité quant à la manière d’en juger la portée et l’opportunité. Pourtant, une chose est sûre, elles nous permettent de savoir avec certitude que certains se considèrent comme nos « chefs ». La lecture du livre de Jean-Claude Monod semble donc tout à fait nécessaire pour tenter de savoir comment ce positionnement doit-être reçu. L’auteur part en effet de l’idée selon laquelle la question du chef (et de celle, associée, du charisme), en démocratie, ne peut se réduire à un « pour » ou « contre » : il semble que nous ne puissions nous passer de personnages particuliers au sein du collectif, bien que ce dernier soit menacé par les individus qui y prendraient une place démesurée.

Pour expliquer cette tension, plusieurs pistes sont données en début d’ouvrage parmi lesquelles deux au moins paraissent tout à fait d’actualité :

  • Il est d’abord rappelé que les démocraties tendent à distinguer, pour assurer leur propre survie, les citoyens les « mieux disposés » pour certaines fonctions (p 23).
  • J-C Monod fait ensuite le constat que les citoyens attendent d’une autorité qu’elle assume, devant eux, la responsabilité de ses actes et que ceci n’est jamais réellement possible au travers d’un collectif ou d’une administration. Seul le chef représente véritablement cette possibilité (p 56).

Les démocraties auraient donc besoin d’un chef mais… elles ont pour caractéristique de s’organiser pour en limiter l’action. C’est bien la problématique centrale de l’ouvrage que de tenter de savoir s’il s’agit là d’une dangereuse contradiction ou d’un utile paradoxe permettant de tenir un juste équilibre. Pour éclairer la question, l’ouvrage commence par proposer quelques éléments constitutifs du « chef » et, plus précisément, du chef en contexte démocratique.

 

Le chef comme rapport particulier au groupe et à la contingence

 

« Le chef est appelé à conduire le groupe mais également à le suivre, entraîné par la dynamique qu’il a lui-même créé » (p 64). Cette surprenante proposition atteste qu’être chef positionne la personne au-delà d’elle-même et la projette, en même temps que le groupe qui le suit, dans un monde marqué par les conséquences de la dynamique créée. Cette situation découle en partie de la différence entre un chef et un maître, seul le premier fédérant des égaux qui obéissent (éventuellement) mais jamais ne servent. L’action du chef en démocratie est en effet soumise à la loi (p 79). Suiveur autant que suivi, le chef est également un homme comme les autres : il incarne bien sûr des idées voire un projet spécifiques, mais également des mobiles tout à fait classiques. Si la qualité politique ou historique ne peut être confondue avec la qualité morale (p 165) c’est parce que le chef peut l’être sans se départir de son intérêt personnel et de sa passion subjective.

Mais alors, qu’est-ce qui distingue le chef ? Pour Jean-Claude Monod, c’est peut-être d’abord sa capacité de non-résignation face à la contingence et, par suite, son effet d’entraînement (p 183). Une seconde condition de son émergence est son identification par un groupe de partisans qui, l’ayant reconnu, lui confère un pouvoir charismatique (p 195) qui serait donc non seulement une qualité inhérente à l’individu mais également un attribut procédant de la façon dont il est subjectivement perçu par ses « adeptes ». À ces éléments qui décrivent les processus de distinction du chef, il faut adjoindre des caractéristiques susceptibles de le légitimer dans un environnement démocratique qui induit des exigences particulières. Parmi celles-ci, figure la nécessaire adhésion du chef à un système politique qui limite son pouvoir (p 211). Mais, si le chef est une figure qui doit être « limitée » en démocratie, il est également nécessaire pour que prospère cette dernière. En effet, le partage des richesses, des biens, la détermination du « commun » et du « particulier » doivent faire l’objet d’une mise en question et ce sont bien souvent des forces « hors jeu » qui ont la capacité de renouveler ces questionnements et l’hégémonie des forces dominantes. C’est ici qu’une figure charismatique peut venir bouleverser les équilibres politiques établis et représenter un collectif, assumer une position devant le peuple tout en l’entraînant. Ce chef sera utile à la démocratie si ce processus vise à contribuer au progrès social et à l’institutionnalisation des mécanismes de protection des minorités, des plus faibles ainsi que du pluralisme politique (p 259). L’auteur modélise en fin d’ouvrage des formes de charisme qui peuvent réaliser cette délicate alchimie entre l’individuel et le collectif. Il identifie ainsi un charisme de « fondation » pouvant peser sur les institutions et faire advenir un système plus social (p 260), un charisme de « résistance et de libération » susceptible d’organiser une rupture face à une oppression (p 261) et un charisme de « justice » inventant des formes de règlement des conflits internes à une société (p 262).

 

Utilité du chef démocratique

 

Ces éléments descriptifs permettent à J-C Monod de conclure sur des éléments plus normatifs. Il tire en effet de son argumentaire la double proposition selon laquelle le chef est nécessaire à la vie démocratique en tant qu’il peut représenter, dans les conditions précédemment évoquées, une personne à qui l’on peut faire confiance et qui réduit donc leur inquiétude.

Mais, pour maintenir l’équilibre constitutif du chef démocratique, il ne peut jouer totalement ce rôle que s’il prépare une « relève » (p 239). Il existe donc des raisons pour un démocrate de ne pas regarder le charisme avec un excès de méfiance et accepter ainsi sa permanence. Il lui est même permis de penser que le chef peut être un salutaire rempart contre la croyance dans les bienfaits automatiques de l’impersonnel (p 285) qui tend à coloniser les modes de pensées gestionnaires de notre époque.


L’ouvrage : Qu’est-ce qu’un chef en démocratie ? de Jean-Claude Monod, Seuil “L’ordre philosophique”, 2012

Une note de lecture réalisée par Vincent Lorius Toutes ses publications

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Articles similaires

Commencez à saisir votre recherche ci-dessus et pressez Entrée pour rechercher. ESC pour annuler.

Retour en haut