« Il n’y a qu’une seule erreur innée, c’est celle de croire que nous sommes là pour être heureux » – Schopenhauer

Quoi ?

Le but de notre vie ne réside pas dans le bonheur ; c’est là ce à quoi Schopenhauer entend nous éveiller dans cette citation issue de Compléments au Monde comme volonté et représentation (chapitre 49).

« Là » où « nous sommes » renvoie à la réalité ordinaire – ce que Schopenhauer désigne par le concept de « représentation » ; dès lors, on comprend que cette citation signifie : lorsque je considère que ma vie vise le bonheur à titre de fin, je me trompe.

Pourquoi ?

Dans la perspective de Schopenhauer, « nous ne sommes précisément que volonté de vivre » (ibidem). Et la vie a ceci de propre qu’elle ne saurait se satisfaire de la satisfaction (cf. « La vie, tel un pendule, balance entre la douleur et l’ennui. »). Or, nous entendons par le concept de bonheur une satisfaction totale, c’est-à-dire l’abolition de tout vouloir tant en quantité (tous les manques sont comblés) qu’en qualité (chaque manque est pleinement satisfait). Par conséquent, notre existence réelle (la vie) et le bonheur ne sauraient converger : c’est donc une erreur de penser que celle-là a pour but celui-ci.

Toutefois, il n’y a pas à rougir de cette erreur : elle est innée, c’est-à-dire qu’elle nous est consubstantielle, c’est-à-dire qu’« elle coïncide avec notre existence même » (ibidem).

Cela s’explique ainsi :

• Nous sommes intrinsèquement vouloir et existons dans et par cette dynamique ;
• Or, en voulant, c’est bien la satisfaction du manque qui est visée – avant de découvrir que, une fois la satisfaction atteinte, surgit le manque du manque – et le bonheur est conçu comme satisfaction suprême ;
• Donc nous associons naturellement (mais à tort) notre existence réelle au bonheur.

Qui ?

Ceux et celles qui raffolent de ces publications au sein du développement personnel par lesquelles se répand une certaine injonction au bonheur et, surtout, l’illusion du bonheur comme parangon de la vie réussie – c’est-à-dire de la vie réalisée adéquatement à ce qu’elle est idéellement.

Ceux et celles qui œuvrent à subir le moins de manque possible et se veulent absolument satisfaits sous tout rapport.

Comment ?

La satisfaction d’un manque, sur l’instant, procure un sentiment de plaisir, tandis que le manque (ou l’insatisfaction) procure un sentiment de déplaisir. Et le vouloir-vivre qui nous anime, comme vouloir, prend la satisfaction pour visée. C’est ainsi que nous versons naturellement dans l’erreur selon laquelle le bonheur serait l’état suprême où nous réaliserions pleinement notre destinée.

Ce qui donne…

Vivre malheureusement n’est pas passer à côté du but ni de sa vie, ni de la vie.

 

Une citation décryptée par Antonin Curioni Toutes ses publications