« Mon corps est le pivot du monde » – Merleau-Ponty

Quoi ?

C’est à partir de mon corps que le monde s’organise, que les objets prennent place les uns aux côtés des autres selon un certain ordre : ils sont à gauche ou à droite les uns des autres, les uns et les autres au-dessus ou au-dessous des uns et des autres.

 Merleau-Ponty consacre la première partie de la Phénoménologie de la perception (1945) au corps ; il cherche à saisir la place qu’occupe le corps et le rôle qu’il joue dans la perception du monde. Ici le corps est à entendre au sens du corps vivant et vécu par différence d’avec le corps inerte (par exemple, le caillou).

  On retrouve cette idée chez Schopenhauer, lorsqu’il écrit que « le monde est ma représentation » : ce que je perçois comme le monde s’avère être organisé d’après mon propre vécu corporel de la réalité objective.

Pourquoi ?

Ce qui fait que tel corps est mien et qu’il est mon corps, c’est que je l’habite en première personne : je ne constate pas que mon os est fracturé à la manière dont je constaterais que la coque de mon bateau est fissurée.

Or, si je suis intimement lié à mon corps, je perçois ce que mon corps perçoit ; ma perception est un vécu en première personne : tel objet me fait peur, tel autre me dégoûte ou tel autre encore éveille en moi un certain désir.

Et c’est mon corps qui se retrouve au centre de cette différenciation de mon environnement ; par exemple, le dégoût moral face à un acte qui me révulse s’éprouve bien jusque dans ma chair – cela peut aller jusqu’à la nausée, voire au vomissement.

Qui ?

Riley, dans le film d’animation Vice-Versa (Disney et Pixar). Elle vit son environnement en première personne et l’organise selon son vécu d’enfant de 11 ans à qui ses parents imposent un déménagement loin de la ville où elle a grandi jusqu’alors. Par une immersion dans le psychisme de Riley, on voit comment les perceptions de son environnement sont subjectives, c’est-à-dire teintées d’émotions vécues en première personne : la perception de sa nouvelle classe, par exemple, figure ce lieu comme un milieu hostile. La manière dont s’affairent Joie, Tristesse, Peur, Colère et Dégoût illustre comment la perception du monde est vécue par le sujet.

On comprend aussi que les individus qui se prennent pour le nombril du monde n’ont pas complètement tort ; à ceci près qu’ils ne sont le centre que de leur monde et non du monde : chacun est, avec raison, le nombril de son monde.

Comment ?

L’espace de mon appartement est structuré à partir de mon corps : c’est mon vécu corporel qui organise l’espace en un lieu, vécu :

  • Quand je me relève la nuit et que je sens le bord du tapis sous mes pieds, je sais que je dois faire attention car cela signifie que j’approche de la première marche de l’escalier.
  • Quand je marche dans le couloir et que je perçois la salle de bain sur la gauche, je sais que ma chambre se trouve à quelques pas sur ma droite.

Et, plus encore, l’espace de mon appartement se restructure en fonction des variations de mon corps :

  • Au retour, la sensation du tapis est ce qui m’avertit de l’éloignement de l’escalier ;
  • et la perception de ma chambre sur ma gauche signifie que la salle de bain se trouve sur ma droite d’ici quelques pas.

C’est ainsi que mon corps est pleinement « pivot » – le pivot, c’est un axe de rotation.

Ce qui donne…

De mes rapports à mon propre corps dépendent mes rapports au monde.

 

Une citation décryptée par Antonin Curioni Toutes ses publications

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