Du droit à philosopher pour tous – Sages comme des images, une collection philo à destination de tous les enfants

Les nouvelles pratiques philosophiques sont animées par une même ambition : “rendre la philosophie populaire”, c’est-à-dire philosopher hors des murs de l’Université, à l’école, en prison, à l’hôpital ou dans la cité. C’est au nom d’un droit de la philosophie et même d’un droit à philosopher que les ateliers philo pour enfants ainsi que les collections philo pour enfants se sont développés depuis une cinquantaine d’années partout dans le monde.

Mais à quoi bon défendre un droit de tous à philosopher sans offrir les conditions de sa mise en pratique ? Lorsqu’on est préoccupé par sa survie, on n’est pas en mesure de philosopher. Lorsqu’on est persécuté, privé de droits politiques, on n’est pas en condition de pouvoir philosopher. Lorsque la lecture est empêchée, parasitée, rendue inconfortable, on n’est pas aussi libre que les autres d’exercer son droit à philosopher. C’est pourquoi chez Bel et Bien, concevoir de beaux livres accessibles à tous les lecteurs et lectrices est au cœur de nos préoccupations. Et c’est animé par cette volonté que la collection philo pour enfants Sages comme des images a été créée.

Juste un caillou, premier album d’une collection philo pour enfants “sages comme des images”. 

 

Sages comme des images est une collection des éditions Bel et Bien, conçue et développée par Charlie Renard, professeur de philosophie au lycée et animatrice d’atelier de philosophie pour enfants, et qui en assure la direction sous la supervision de Laetitia Veniat, co-directrice et éditrice aux éditions Bel et Bien ( maison d’édition ayant pour objet le partage de lectures accessibles, inclusives, équitables)

Quelques éclaircissements tout d’abord sur le nom de la collection. L’expression traditionnelle « Sages comme des images » véhicule deux conceptions : d’une part celle de l’enfant docile, silencieux et obéissant, d’autre part l’image inerte et muette. Or, en créant une collection éponyme nous prenons le contrepied de cette double interprétation en considérant ici la sagesse dans son sens fort : une quête de la vie bonne, un goût du vrai et du beau, un souci du soi. Ainsi, nous croyons à la sagesse des images, à leur puissance questionnante et leur capacité à susciter par les émotions, un étonnement, un engagement dans la lecture et la recherche de sens; et à la sagesse des enfants parce qu’ils ont un appétit pour les questions existentielles. Les albums de jeunesse offrent un temps et un espace pour se questionner et nourrir ce désir de sagesse, littéralement cette philo-sophie.

Les illustrations ont donc une place centrale dans la création des albums de la collection et cela se manifeste par le choix d’un format qui permet l’immersion et l’expérience esthétique. Afin que les illustrations puissent être vues par un groupe d’enfants, dans le cadre d’un atelier philo, en classe ou en famille, le format de la collection Sages comme des images est ainsi arrêté : 24X30cm, album fermé. La quantité de texte est réduite (500 à 1000 mots). Elle se doit d’être courte ou légère, pour ne pas que le temps de lecture empiète sur celui du développement de la pensée ou du débat. Les livres de la collection Sages comme des images sont destinés aux jeunes lecteurs à partir de 6 ans et sans limite d’âge. La collection prend aussi en compte les prescripteurs et autres accompagnants adultes : parents, animateurs.trices, professeur.es des écoles, etc., en leur proposant des outils en partie « clé en mains » pour favoriser le cheminement de la pensée des plus jeunes, en mettant en jeu leur créativité. Les ressources seront téléchargeables en ligne, sur le site de l’éditeur.

 

Le premier album de la collection, écrit par Vanessa Mourey Soriano et illustré par Chloé Leray, vient de paraître (novembre 2022) et s’intitule Juste un caillou. Né dans l’imagination de Vanessa Mourey Soriano d’un jeu de mots inventés sur le chemin de l’école, cet album raconte l’histoire d’un enfant, Béryl, qui collectionne des pierres. Justin, ce n’est pas juste un caillou pour le jeune Béryl : c’est sa pierre… précieuse. Et elle a beaucoup de valeur en dépit de ce que peuvent dire les autres élèves de sa classe. Béryl comme Justin ne savent pas ce qu’ils valent ni ce qu’ils sont. Et il est parfois difficile d’exprimer tout son potentiel quand tout autour de soi nous empêche de faire des étincelles.

La juste mesure pour donner à penser

Comment donner à penser sans être du prêt-à-penser ? Comment offrir de la matière à réflexion sans la baliser ?

Pour que le lecteur ait le loisir de se poser des questions, il ne faut pas lui im-poser des questions ! Si l’enfant-lecteur sent trop fortement le guidage, il risque de ne pas voir l’intérêt d’enquêter lui-même, de chercher à interpréter, de questionner le texte et les images qu’il a sous les yeux. Dans la collection Sages comme des images, le jeune lecteur est considéré comme un être pensant à part entière, à même de relever une ou plusieurs pistes de lecture, de choisir son approche, son entrée dans le livre.

Une juste mesure donc entre un support au raisonnement tout tracé et un récit trop complexe de façon à garantir un droit du lecteur de proposer autre chose, de douter de ce qu’il a compris au départ, de fouiner dans sa lecture à la recherche de détails qui confirment ou infirment son interprétation. Parce que l’on a tendance à d’abord s’intéresser à ce que dit le texte, la forte présence des images (plusieurs double-pages ne comportent pas de texte) ici invite le lecteur à identifier des zones d’ombre, à se poser des questions sur les blancs du texte, sur la dissociation du texte et de l’image qui traversent l’oeuvre. Débat interprétatif et débat réflexif sont ici intimement liés. C’est pourquoi nous préférons aussi, pour que la pensée s’enclenche, une pluralité de thèmes qui se croisent dans le récit. Deux thématiques philosophiques émergent et se nourrissent au sein de l’album Juste un caillou : l’identité et la valeur. Mais il est tout à fait possible de réfléchir sur d’autres thèmes comme l’héritage, la transmission, le vivre-ensemble…

C’est aussi une mesure juste, c’est-à-dire éthique, soucieuse d’inclure tous les lecteurs. Pour la forme des albums, les mises en page sont accessibles et conviennent aux personnes dys, ayant des handicaps visuels (police Luciole ou Andika, grands caractères de 16 à 20, interlignes confortables, couleur du texte) et les illustrations ne parasitent pas le texte. Nous sommes aussi vigilants à ce que dans nos récits, tous les lecteurs soient représentés, et veillons à éviter les stéréotypes et la stigmatisation des minorités.

 

 

La littérature de jeunesse et la philo pour enfant : un acte politique 

Comme le souligne l’éditeur et auteur Christian Bruel dans l’entretien qu’il a mené dans Télérama le 30 novembre dernier à l’occasion de l’ouverture du salon du livre jeunesse de Montreuil et de la parution de son dernier essai L’aventure politique de la littérature jeunesse (éd. La Fabrique), “parce qu’ils éveillent les esprits et forgent les consciences, les albums pour enfants sont profondément politiques”.

Or Martha Nussbaum montre à quel point l’éducation par la littérature et les arts est à la fois essentielle et risquée pour le développement des émotions démocratiques.

La littérature a la capacité de nous faire entrer dans les raisons d’autrui grâce à l’imagination empathique. Elle élargit notre perception parce qu’elle nous invite à vivre des expériences par procuration, par l’imagination narrative à toucher “l’effet que ça fait”. A ce titre, la littérature permet d’”examiner la vie intérieure d’un autre”, de se mettre dans ses chaussures.

A ce sujet, Bouveresse écrit dans La Connaissance de l’écrivain. Sur la littérature, la vérité & la vie, (Marseille, Agone, coll. « Banc d’essais », 2008. p. 115.) :

« Le romancier n’est-il pas […] quelqu’un qui nous invite à participer à des expériences de pensée d’une certaine sorte, dans lesquelles des personnages inventés se trouvent placés dans des situations hypothétiques qui exigent d’eux des décisions qui sont la plupart du temps à la fois difficiles et lourdes de conséquences, et à nous demander avec eux : quelle serait la bonne façon d’agir dans une situation de cette sorte ? Et y en a-t-il seulement une ?”

Et c’est justement ce pouvoir de la littérature qui en fait un instrument possible de propagande, de formatage, de conditionnement. D’où, comme le souligne Nussbaum dans Les émotions démocratiques. Comment former le citoyen du XXIe siècle ? (2011), l’importance d’un extrême soin dans le choix de ce que l’on propose comme lecture aux enfants :

“Les enfants à qui l’on demanderait de développer leur imagination en leur faisant lire une littérature raciste, ou une littérature pornographique qui objectifie les femmes, ne le feraient pas d’une manière convenant aux sociétés démocratiques. On ne saurait nier que des mouvements antidémocrates ont su comment utiliser les arts, la musique et la rhétorique de manière à dénigrer et stigmatiser davantage encore certains groupes et certains peuples. La composante imaginative de l’éducation démocratique exige une sélectivité soigneuse.”

C’est convaincue de cette place essentielle de la littérature de jeunesse dans la formation des citoyens de demain et de la responsabilité que l’on doit porter en créant des supports à leur attention, que nous avons pensé le logo et la maquette (réalisés par Alexander Feller, artiste touche-à-tout, auteur, et graphiste de talent), la charte éditoriale mais aussi que nous choisissons et travaillons, en concertation avec les auteurs et autrices, nos textes et la manière de les illustrer.

Plus encore qu’une formation par la littérature, c’est une invitation à expérimenter, à explorer d’autres facettes du réel, d’autres possibles que nous cherchons à offrir aux lecteurs et lectrices car on ne peut choisir librement le monde dans lequel on vit que sur fond de possibles; on ne peut élire certaines valeurs que sur fond d’une libre exploration de celles-ci notamment grâce aux récits.

Un droit du lecteur à ne pas philosopher !

Pour Sages comme des images, on ne peut penser un droit à philosopher si on oblige les lecteurs et lectrices à le faire. L’activité de philosopher, pour être authentique, ne peut être que librement choisie. Le parti pris pour Sages comme des images est donc de concevoir des albums auto-suffisants. Leur richesse et leur valeur ne se réduisent pas à leur portée philosophique. Les albums de Sages comme des images sont toujours aussi pensés et conçus pour une lecture plaisir et désintéressée (lire pour lire et non pour philosopher). Nous revendiquons ainsi un droit des lecteurs et lectrices à ne pas philosopher ! Chacun.e peut très bien choisir de lire pour le plaisir, c’est-à-dire de rencontrer nos livres en dehors de toute pratique philosophique, ou bien d’en faire une lecture philosophique. L’important est pour nous d’offrir à tous les conditions matérielles de ce choix !

 

Pour contacter la maison d’édition : contact@beletbien.eu

Pour contacter Charlie Renard, la directrice de la collection Sages comme des images : beletbien.philo@gmail.com

 

Un article par Charlie Renard Toutes ses publications

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