Pour son dernier ouvrage, Le mythe de la caverne. Platon face à Heidegger (Ed. du Cerf), William Néria propose une relecture du mythe le plus célèbre du disciple de Socrate. Pour les néophytes, c’est ici l’occasion de lire ou relire le Livre VII de la République de Platon. Pour les autres, plus aguerris, celle de confronter deux interprétations de ce qu’est le rôle du philosophe.
William Néria est Docteur en Philosophie. Conférencier, il s’interroge sur la constitution de ce qu’est la métaphysique au travers d’un cheminement intérieur. Il questionne les philosophies occidentales et indiennes et les mystiques religieuses.
Le mythe de la caverne et la pratique de la philosophie
La Pause Philo : Pourquoi un tel ouvrage sur le mythe de la caverne de Platon ?
William Néria : Mon parcours personnel explique la genèse de ce livre ou plutôt de cette thèse. Avant celle-ci, j’ai rédigé un mémoire de Master 2 où j’ai comparé trois grands philosophes : Plotin, Shankara et Spinoza. Je me suis intéressé chez eux au dépassement de la raison et à l’expérience divine que cela procure. Il se révéla que l’expérience de la joie divine ne pouvait s’obtenir, chez ces trois philosophes, que par un dépassement littéral de la raison, c’est-à-dire une sorte de suspension des fonctions cognitives.
Après la rédaction de ce mémoire, cherchant mon sujet de thèse, je relus le mythe la caverne à travers l’interprétation de Heidegger, mais cette dernière me parut inadéquate. Je replongeais donc dans La République de Platon, et m’attardant sur le livre VII, je reconnus que le cheminement dépeint par ce mythe ressemblait à cette élévation vers le divin, que j’avais déjà rencontrée chez mes trois philosophes.
J’ai donc décidé de réinterpréter ce mythe à l’aune du thème du dépassement de la raison et de l’expérience de l’Absolu, pour mettre au jour ce que Platon voulut dire.
LPP : En quoi ce mythe est-il utile à une pratique de la philosophie ?
W. N. : Le mythe de la caverne, si je le prends dans le sens platonicien, est un précieux allié pour faire face à la vie. Ce mythe, c’est moi, c’est nous, c’est l’image de notre vie limitée et souvent difficile car prise dans les chaînes, mais si je cherche à les retirer alors je pratique la philosophie.
J’entre dans l’exercice de la philo-sophie, dans cette amitié avec la sagesse, en recherchant une vie meilleure et un bonheur immense car, être sage, c’est d’abord trouver, et ensuite éprouver, la joie qui est à la source de la lumière au-dehors de la caverne. Alors, je me retrousse les manches, et par la recherche constante et sincère du dieu, Zeus chez les grecs, il est possible, suivant l’idée que nous avons du divin, de le trouver.
Ce n’est pas un chemin facile, c’est un chemin de vie que je dois autant assumer que ma vie, et en cela, le mythe me trace un chemin que je peux emprunter et parcourir. Et même, si je suis aveuglé, non par ce monde passager et souffrant, mais par la lumière toute radieuse d’en haut, je préfère la souffrir et contempler la vérité, c’est-à-dire la joie infinie du dieu.
L’héritage de Heidegger
LPP : Pourquoi de Platon à Heidegger ?
W. N. : Tout d’abord, il faut savoir que le mythe de la caverne est un court récit qui a inspiré toute l’histoire de la philosophie, c’est-à-dire qu’il a configuré toute l’expérience de la pensée occidentale. Ainsi, j’ai retrouvé des allusions de ce mythe chez les plus grands philosophes de l’histoire, par exemple : Aristote, Plotin, saint Augustin, Descartes, Spinoza ou Heidegger. J’ai donc constaté que ce mythe traverse les âges et qu’il a été réinterprété dans des doctrines très différentes.
Toutefois, j’ai observé au XXème siècle, que Heidegger en a donné l’interprétation la plus importante depuis l’antiquité, souhaitant y retrouver la signification première du mythe qui aurait échappé à Platon. Mais comment aurait-elle pu échapper à Platon ? Pour le savoir, j’ai exploré le mythe tout en me demandant si Platon l’avait commenté, à la suite de quoi je cherchai à en comprendre la signification originale du mythe.
J’ai donc entrepris d’éclairer, grâce à la philosophie de Platon, ce qui se cachait derrière les symboles de ce récit allégorique, afin de comparer son explication avec celle de Heidegger, pour voir si ce dernier ne s’était pas trop éloigné de celle de Platon.
LPP : Il existe une polémique sur l’enseignement de la philosophie de Heidegger en raison de ses engagements auprès du IIIème Reich. Une demande d’interdiction est relayée par le philosophe Vincent Cespedes. Qu’en pensez-vous ?
W. N. : Je sais que Heidegger a lu à l’Abbaye de Beuron, devant un parterre de philosophes et de théologiens de renoms, sa seconde interprétation du mythe de la caverne. Mais cette version du mythe ne nous est jamais parvenue, car le IIIème Reich l’a faite censurée. Je note donc que Heidegger a été contraint, dans son exercice intellectuel, par ce pouvoir tyrannique et autoproclamé.
Aussi, je crois qu’il faut non pas interdire, mais au contraire affronter Heidegger en le lisant, et ce sans le reléguer aux oubliettes ni trop l’encenser. N’oublions pas que Heidegger a inspiré nombre de philosophes importants, surtout en France, l’interdire serait, par extension, interdire une certaine philosophie française.
La « Pose » Philo
LPP : Pour une Pause Philo, que conseillerez-vous ?
W. N. : Je crois qu’être philosophe ce n’est jamais pouvoir se poser dans le sens du prélassement, car à ce moment arrivent l’ennui, la peur, le doute et autres sentiments qui me dérangent. Pour moi, me poser, c’est essayer de contempler la vérité qui est dissimulée par mes sens, mon intellect et donc mes désirs. Donc, si je conseille une chose pendant la pause, c’est de fermer les yeux et de demeurer à l’écoute de ce qu’il y a de plus vrai en nous, le divin, et là, si possible, de se laisser saisir. Se pauser, c’est donc entrer dans la sophia, la sagesse, en se retirant de tout ce qui en éloigne et pour cela, je recommande Augustin en entrée, Platon en plat de résistance et Boèce pour le dessert !
Pour aller plus loin :
– Le site personnel de William Néria
– Le livre Le mythe de la caverne
Sur le même thème :
– Pour en savoir plus sur le mythe de la caverne : Pour que la philosophie descende du ciel – Interview d’Alexandre Lacroix