Les Jeux Olympiques peuvent-ils être un facteur de développement local ? – Interview de João Saravia

Faire rimer Jeux Olympiques et éthique, une mission impossible ? En 2024, Paris sera la ville hôte des J.O. Cette candidature a entraîné un grand débat dans la société française : quel intérêt d’accueillir cet événement de très grande envergure, au vu de son impact vis-à-vis de la société, de l’économie locale et de l’environnement ? Pour éclairer ces questionnements, nous avons interviewé João Saravia, responsable des achats responsables lors des Jeux Olympiques de Rio de 2016.

Depuis 2003, la notion « d’Héritage Olympique » a été introduite dans la charte Olympique, et est définie comme étant « le résultat d’une vision. Elle englobe tous les bénéfices tangibles et intangibles à long terme amorcés ou accélérés par l’accueil des Jeux Olympiques/de manifestations sportives pour les personnes, les villes/territoires et le mouvement Olympique ».
Ainsi, il s’agirait de développer une stratégie éthiquement responsable visant à entraîner des changements positifs, en partenariat avec l’ensemble des parties prenantes impliquées autour du projet. Dans ce cadre, de quels changements parle-t-on ? Est-il possible de croiser l’éthique et l’organisation des J.O. ? Dans quelle mesure le Mouvement Olympique serait-il un facteur d’innovation et développement social ?

Après un parcours en Ingénierie Civile et en Relations Internationales, João Saravia a été le leader du Procurement (approvisionnement) des derniers Jeux Olympiques de Rio de Janeiro 2016, qui furent particulièrement décriés concernant leurs impacts sur l’environnement. Guidé par un questionnement éthique et responsable, son témoignage mêle l’action et la réflexion, et permet d’éclairer l’organisation de ces J.O. du point de vue des acteurs qui les ont mis en place. La notion d’Héritage Olympique apparaît comme un fil conducteur privilégié pour saisir toute la complexité de l’organisation d’un tel événement et ses enjeux sur le long terme dans le contexte brésilien.

Le but d’un cheminement

La Pause Philo : Pouvez-vous nous présenter votre parcours professionnel et le rôle que vous avez joué lors de derniers Jeux Olympiques de Rio de Janeiro 2016 ?

J. S. : Les chemins de la vie ne sont jamais très évidents. Cette phrase me rappelle une occasion où je suis allé à une conférence d’Alexey Leonov, un russe, le premier homme à avoir fait une « promenade dans l’espace ». Quelqu’un lui a demandé : « Monsieur, quand vous étiez jeune et que vous habitiez la Sibérie, que rêviez-vous de devenir à l’âge adulte ? ». Quand Alexey était un petit garçon, les programmes spatiaux et les astronautes n’existaient pas. Donc, répondre à cette question en disant « je veux devenir un astronaute » est possible pour les nouvelles générations, mais pas pour la sienne. Evidemment qu’il n’avait pas en tête l’idée de voyager dans l’espace. Cependant, c’était à lui de suivre Sputnik, Laika et Yuri Gagarin, et de devenir le premier homme à réaliser une sortie extravéhiculaire dans l’espace.
Nous avons des occupations moins extraordinaires, mais on peut se retrouver dans des endroits intéressants et faire des choses qu’on n’imaginait pas, tout en y arrivant par des chemins indirects.

Lors de mes études universitaires, j’ai commencé à travailler dans un cabinet de conseil au sein du département des achats, approvisionnement (Procurement), logistique et chaîne d’approvisionnement. Je travaillais pendant la journée et j’étudiais le soir.
Au total, je suis resté neuf ans dans ce cabinet, au fil desquels j’ai commencé à participer à des projets de plus en plus complexes. Lentement, j’ai obtenu des promotions. J’ai réalisé des projets en Argentine, au Venezuela, en Angola… on m’a aussi envoyé en déplacement professionnel au Mexique durant deux ans et, quand je suis finalement rentré au Brésil, j’ai commencé à réaliser que j’avais terminé un cycle. Il s’agissait d’un processus qui arrivait à sa maturité. Donc, j’ai commencé à faire attention aux possibilités de changement et à comment y parvenir, jusqu’à recevoir l’invitation à participer aux J.O. comme « Head of Procurement ».

Mon profil s’adaptait bien au poste : je devais structurer les processus, définir et former l’équipe, cartographier les services qui étaient nécessaires pour les J.O., réaliser et gérer les contrats, etc. En gros, tout ce que j’aidais les entreprises à faire lorsque j’étais consultant. C’était l’année 2011 et l’aventure venait de commencer. Lorsque nous discutions des possibles solutions avec le gouvernement fédéral, le Comité International Olympique, la Mairie, les fédérations sportives internationales, les ONG, etc., je me souvenais de la conférence d’Alexey Leonov et je me disais : « Comment suis-je arrivé ici ? ».

Les achats responsables, un outil pour devenir acteur du développement local

LPP : Dans quelle mesure le Sustainable Procurement (ou approvisionnement responsable) pourrait devenir un moyen de développement local ?

J. S. : L’approche classique en matière d’approvisionnement, ou Procurement, est la suivante : il faut obtenir ce dont on a besoin, dans les délais, au plus faible coût, tout en respectant la qualité spécifiée. Très bien. Or, le problème se pose quand l’attention ne porte que sur le coût direct, le délai de livraison et la qualité de l’achat. En conséquent, on cesse de regarder toute une série d’autres activités qui se sont vues impactées par cet achat.

Par exemple : d’où vient la matière première de ce que j’achète ? S’agit-il d’une extraction prédatrice, ou le renouvellement de la matière première est-il pensé de façon responsable ? Où cette matière première a-t-elle été transformée ? L’usine nuit-elle à l’environnement ? Les travailleurs qui ont fait l’extraction, ou qui travaillent dans l’usine, ont-ils des bonnes conditions de travail ? Le transport de ces matières s’est-il fait avec des moyens de transport qui limitent l’émission de CO2 dans l’atmosphère ? Et une fois que le produit a été consommé, y a-t-il une manière correcte de se débarrasser des déchets ? Tout en achetant au fournisseur X, on pourrait participer indirectement à la faillite d’un fournisseur local et à l’augmentation du chômage dans la ville.

Sustainable Procurement signifie, dans le processus d’achat et d’utilisation d’un matériel ou dans le processus d’appel à un service, d’incorporer une évaluation complète concernant l’impact vis-à-vis de l’environnement, des gens et d’un développement économique durable. Et de continuer, bien sûr, à se préoccuper du prix, de la qualité et de la livraison.

L’une des choses que le Sustainable Procurement cherche ce sont les fournisseurs locaux, ce qui implique le développement et l’incorporation à leur processus des exigences requises. En ce sens, oui : le Sustainable Procurement est un moyen de développement local.

Les J. O., un événement porteur de multiples enjeux envers la société, l’environnement et l’économie locale

LPP : Quels sont les défis quand on organise des grands événements, tels que les J. O., envers la société qui les accueille, l’économie locale et l’environnement ?

J. S. : La discussion est toujours autour des questions « Cela vaut-il la peine de dépenser cette somme d’argent pour moins de 2 mois de spectacles sportifs ? D’où vient le financement ? ».
C’est assez difficile de répondre à ces questions. Je pense que ça vaut la peine si la ville et le pays qui accueillent les J.O. profitent de l’attention et des investissements qui accompagnent l’événement pour entraîner des changements à long terme, des modifications au niveau des infrastructures et fournir de meilleurs services à la population locale.
Concrètement, dans le cas de Rio il y a eu des changements structurels dans la ville : des réformes dans les deux aéroports, une augmentation substantielle du réseau de transports en commun de grande capacité, des grands travaux pour éviter les inondations, des investissements dans des hôpitaux et des équipes des soins médicaux, la création du centre de commandement et de contrôle de la Mairie, etc.

Pourrait-on avoir fait tout ça sans les J.O. ? Théoriquement parlant, oui. Mais dans le cas de Rio de Janeiro, il s’agissait majoritairement de projets qui étaient bloqués depuis 40 ans et qui ont pu être réalisés en 8. Les J.O. attirent l’attention du monde entier et cela devient un prétexte pour attirer des investissements. La ville hôte passe au premier plan au niveau mondial et arrive à réaliser des choses qui prendraient beaucoup plus de temps dans des conditions normales.
Je ne connais aucune ville ayant dit « on ne va pas faire les J.O., mais on utilisera le budget qu’on allait investir dans les J.O. pour améliorer les écoles et les hôpitaux ». Si les villes décident de ne pas accueillir les J.O. – elles en ont tout à fait le droit -, le budget pour améliorer les choses n’est pas approuvé et tout continue pareil.

Il y a une phrase qu’on attribue à Juan Antonio Samaranch, ancien président du Comité Olympique International, qui résume bien ce que je dis « Il y a des J.O. qui profitent d’une ville pour avoir lieu. Il y a des villes qui profitent des J.O. pour se réaliser ».

Il faut se focaliser sur la deuxième partie et essayer que des fonds publics soient investis pour réaliser des changements positifs de long terme pour la population, et pas sur choses spécifiques des J. O. Dans le cas contraire, il s’agirait d’un grand gaspillage. Pour tout ce qui est spécifique au déroulement des J.O., il faut essayer de trouver des fonds privés pour y parvenir. Le Comité Rio 2016, où j’ai travaillé, était responsable de l’exécution des compétitions sportives, donc nous ne nous sommes appuyés que sur des fonds privés.

Le problème, c’est que la candidature aux J.O. s’effectue 10 ans avant sa réalisation. On peut avoir à ce moment une vision très claire et structurée… Or, quand le projet démarre vraiment, il peut se passer beaucoup de choses : des changements dans le gouvernement ou des personnes travaillant au sein des différentes organisations, des crises économiques et sociales, des élections, des nouveaux plans économiques, etc. La vision initiale peut se perdre s’il n’y a pas une structure forte qui gère tout le processus. On risque de ne porter l’attention qu’aux urgences, tout en oubliant la vision d’ensemble et les opportunités en matière d’héritage olympique pour la population, la ville et le pays hôte.

 

Une interview réalisée par Sofía Saravia Toutes ses publications

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