De plus en plus de professionnels s’adressent aux philosophes pour obtenir leur « conseil », mais le rôle de consultant n’est qu’une activité parmi d’autres que les philosophes peuvent accomplir dans le monde du travail, puisqu’ils sont particulièrement présents dans les métiers de la publicité, des ressources humaines ou encore de la communication. Qui sont alors ces philosophes qui exercent « dans » le contexte spécifique d’un métier ? Quelle est la valeur ajoutée qu’ils apportent à leur environnement professionnel ?
Une réponse peut venir du Master Professionnel en Conseil Éditorial, issu d’une idée du philosophe français Jean-Michel Besnier. Ce parcours est un exemple du rapprochement de la pensée et de l’action, et de comment la réflexion peut s’enrichir au sein de conduites professionnelles, sur des plans aussi bien éthiques que sociaux. Nous avons sollicité Delphine Pinel, directrice du Master, pour nous en dire plus.
Si la philosophie rencontre la communication
La Pause Philo : Merci d’avoir accepté de faire votre pause philo ! D’abord, pouvez-vous nous dire ce qu’est le “conseil éditorial”? Beaucoup de gens pensent aux métiers des éditions…
Delphine Pinel : Le conseil éditorial s’exerce dans tout contexte de production de contenus. Or aujourd’hui, la production de contenus s’est très largement démocratisée : les entreprises, les institutions, les marques, les associations, les individus… tous peuvent être des médias, capables de produire et diffuser régulièrement des contenus écrits, vidéos, sonores, etc. Dans ce contexte d’effervescence, comment émerger, comment faire du sens et non du bruit ? C’est la question que se pose le consultant ou chef de projet éditorial, qu’il travaille en agence pour plusieurs clients ou au service d’un annonceur.
LPP : Après 26 ans de travail en agence de communication, comment l’idée vous est venue de vous lancer dans la création et la direction d’un Master professionnalisant ?
D. P. : Je n’ai pas crée le Master, qui a été pensé et développé en 2001 par Jean-Michel Besnier, professeur de philosophie à la Sorbonne, et par Monique Ollier, consultante éditoriale. J’ai intégré l’équipe enseignante en 2011, pour développer un atelier consacré à la réflexion stratégique et pris la direction de ce parcours en 2013. Outre le plaisir personnel de transmettre le fruit de nombreuses années de pratiques professionnelles, j’étais convaincue par la nécessité de mieux former les jeunes communicants aux expertises éditoriales, qui deviennent de plus en plus centrales : la stratégie éditoriale, la production de contenus, la gestion des conversations, etc.
LPP : D’une manière générale, l’on pense à la philosophie comme au domaine de la pensée pure, et à la communication comme à un métier de terrain (souvent confondu avec le marketing et la publicité d’ailleurs). Pourquoi avoir osé un tel rapprochement ?
D. P. : C’est toute l’originalité et la pertinence de l’approche initiée par les créateurs du Master. Nos étudiants, forts d’un solide socle de culture générale (philosophie mais également autres sciences humaines), font l’acquisition d’une « boite à outils » opérationnelle, qui leur permet de trouver très rapidement leur place sur le marché du travail. Les enjeux de la communication éditoriale pour les entreprises et les institutions sont les enjeux du monde actuel : la place des technologies, inclusion/exclusion, écoute, risques de manipulation, pédagogie… Ce socle réflexif leur est donc utile pour penser leurs pratiques en identifiant les enjeux éthiques et politiques.
Un Master interdisciplinaire avec une équipe enseignante tournante
LPP : Pouvez-vous nous parler de l’équipe enseignante du Master ?
D. P. : Le master « tourne » avec une quinzaine d’intervenants. Un professeur de philosophie propose un parcours de réflexion sur la philosophie de la communication. C’est Michel Puech, maître de conférence et spécialiste de philosophie des sciences, des technologies, et du développement durable, qui assure ce module depuis 3 ans. Les autres intervenants sont des professionnels en activité, spécialistes de la rédaction journalistique, du community management, de la datavisualisation, de la gestion de projet web, de la conception de sites, etc. Un acteur du monde de l’entreprenariat anime un marathon « création d’entreprise en 48h chrono ». Enfin, un module de coaching permet à chaque étudiant de mener une réflexion personnelle sur son projet et sa stratégie de recherche d’emploi.
LPP : D’où viennent vos étudiants, et que deviennent-ils ?
D. P. : Chaque promotion compte entre 16 et 18 étudiants, titulaires d’un Master 1 et de plus en plus souvent d’un Master 2. La moitié est issue de la filière philo. Les autres ont un parcours en sciences humaines : histoire, lettres, langues, droit, sociologie… Et de plus en plus de candidats ont suivi des doubles licences, ce qui est un « plus ». Enfin, nous accueillons aussi des jeunes professionnels en formation continue, qui apportent au collectif leur expérience du monde du travail.
Nos étudiants trouvent facilement un stage, et un emploi dans la foulée. Cette année par exemple, 14 de nos 16 étudiants étaient en emploi, avant même d’être diplômés. La majorité débutent en agence, ce qui est une excellente école d’application. Dans des postes de chef de projet éditorial junior, puis sénior. Ils sont ainsi au contact de nombreuses entreprises clientes, et traitent de problématiques variées… avant parfois de choisir une carrière chez l’annonceur.
La communication, une arme à double-tranchant
LPP : Il y a quelques semaines, la 17ème remise des diplômes a eu lieu : quel message avez-vous adressé cette année aux nouveaux communicants ?
D. P. : J’ai voulu conforter leur confiance en eux, en soulignant les faits objectifs (taux d’insertion, retours des maîtres de stages…) qui apportent la preuve de leur employabilité. Et les enjoindre à rester vigilants, exigeants dans leur travail : les fractures culturelles et sociales qui traversent la société nous montrent à quel point la communication est une arme à double-tranchant. Leur double profil réflexif et opérationnel peut les amener à développer des pratiques professionnelles qui répondent à ces défis.