Sur le chemin de l’authenticité

Dans un contexte social et sociétal particulièrement complexe, s’il n’y avait qu’un mot, celui que l’on souhaiterait voir marquer les prochains mois, ce serait le mot « authenticité ». Manque de sincérité, recherche de transparence, absence de confiance, l’année 2023 semble basculer vers un ras-le-bol vis-à-vis des faux-semblants. Le temps des masques et de la superficialité ne peut plus être, le temps des filtres Instagram qui travestissent ne doit plus être. Il est temps de revenir à l’essence même de ce que nous sommes.

Le dépassement de la sincérité

Définie dans le dictionnaire Le Robert comme celle : « qui exprime une vérité profonde de l’individu et non des habitudes superficielles, des conventions », l’authenticité, du bas latin authenticus signifie « original et bien attribué », mais également « acte juridique qui peut faire foi ». Quant au grec tardif authentikos, il signifie : « dont le pouvoir, l’autorité est inattaquable ».

Au Moyen Âge, il s’applique aux personnes dont l’autorité est reconnue puis aux choses indiscutables. Alors que dans le sens ancien, on met l’accent sur l’aspect formel de la situation (on parle, par exemple, d’un acte authentique, c’est-à-dire qui fait autorité), l’acception contemporaine désigne davantage une qualité intérieure.

Rousseau est l’auteur qui incarne l’idéal d’authenticité face au mensonge social qui fait primer le paraître sur l’être. Mais s’agit-il d’être soi ou de vouloir être ainsi ? L’authenticité est une qualité qui ne peut être réduite au faire, elle induit donc un alignement entre ce que l’on est véritablement et les actions qui en découlent, un dépassement de sincérité en quelque sorte. On retrouve d’ailleurs dans Les Faux-monnayeurs d’André Gide, ces notions de tricherie et d’hypocrisie face à une authenticité difficilement atteignable : « Je crois […] que les sentiments authentiques sont extrêmement rares et que l’immense majorité des êtres humains se contentent de sentiments de convention, qu’ils s’imaginent réellement éprouver, mais qu’ils adoptent sans songer un instant à mettre en doute leur authenticité ».

Au XXème siècle, le mot authenticité a donc remplacé le mot vertu, longtemps au cœur de la morale occidentale, et ce, depuis Socrate. L’authenticité c’est un accomplissement sincère de cette part intacte en nous ne se nourrissant ni de l’ego, ni de l’image que les autres peuvent avoir de nous. Elle ne ment pas. Suivre la voie de l’authenticité n’est pas forcément la voie la plus fréquentée. C’est le chemin de la cohérence entre le cœur, la tête et les actes. Elle peut donc faire peur car elle met en péril, parfois, les dimensions de soi que nous avons édifiées.

L’authenticité malmenée

L’authenticité est aujourd’hui menacée, c’est en cela qu’elle devient indispensable. Si l’on a fait de l’authenticité une valeur dominante, c’est parce qu’elle n’a jamais été aussi malmenée, mise en péril par la prolifération des opinions et des images. Nous ne sommes pas faits pour avoir l’embarras du choix.

La liberté, telle que nous la concevons, est en effet un processus conscient, s’exerçant devant un éventail aussi large que possible d’opinions et d’images. Les états affectifs naturels s’épuisent, quasi déshumanisés, devenant comme « truqués » par le monde qui nous entoure. Il faut être libre pour être authentique : libre dans ses opinions, libre dans ses choix, non impactés par les sur-sollicitations ambiantes qui affaiblissent notre jugement. Le fait d’être sincère n’empêche pas le fait de n’être pas lucide, pas plus que l’intention de dire la vérité implique l’impossibilité de se tromper.

Et si finalement le retour à l’authentique, tel que nous l’imaginons, passait par la simplicité, cette résonance avec soi laissant libre court à ses sens, son intuition, ses émotions et son
imagination, cette vérité du cœur si chère à Rousseau ?

 

À défaut d’être totalement authentiques, faisons le vœu, plus modeste, mais sans nul doute plus réaliste, de l’être simplement davantage ces prochaines années. Sans affichage, généralement factice, sans promesse, rarement suivie d’actes, mais avec cohérence et sincérité. L’alignement entre nos valeurs et les actions que nous sommes amenés à accomplir au quotidien, c’est ce à quoi nous pouvons aspirer. Face à une société qui évolue, il est urgent de prendre le temps de revenir à ce que nous sommes sans céder pour autant au piège tendu de l’amour-propre.

 

Un article par Delphine Jouenne Toutes ses publications

Cette publication est issue du livre de Delphine Jouenne, Les (bons) mots du travail (octobre 2023)

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