De la tradition

Le mot « tradition » semble être au cœur de discussions, de polémiques. La chasse, la corrida, ou encore le recours à l’argument de la “culture” traditionnelle pour expliquer l’absence de symboles pour soutenir la cause LGBTQ+ par un joueur de l’équipe de France pendant la coupe du monde au Qatar… sont ici quelques exemples de controverses qui méritent des précisions. Utilisé comme arguments, explications, étendards, ce mot est souvent associé au terme « valeur ». Il est sans doute nécessaire de mettre en perspective des questionnements autour de ce terme qui semble à lui seul revêtir une sacralité digne de ce qui est supposé être « intouchable ».

Que veut dire le mot « tradition » ? Que suggère-t-il ? Les traditions peuvent-elles être pensées, pesées ? La réflexion philosophique est un moyen pour engager le dialogue et apporter des nuances.

La “tradition” est-elle une affaire de terminologie ?

Le mot « tradition » vient du mot « donner » et par extension devint « livrer » au sens de « remettre, transmettre ». Une tradition est donc transmise par le passé jusqu’au présent, et perdure dans le temps. Cela peut se traduire par des paroles, des actes, des écritures : une transmission de générations en générations avec peu de variantes. Certaines sociétés, cultures ou cultes n’en retrouvent parfois aucune trace originelle, on ne se souvient pas vraiment de la façon dont elles sont apparues. Elles peuvent être dévoyées et/ou inexactes. Ainsi dans le présent, on pourra les trouver sous une certaine forme et leur donner un ancrage historique bien éloigné de l’origine, ou encore on leur attribuera parfois une origine culturelle alors qu’elles sont cultuelles et inversement.

La tradition comme expression d’un passé très présent est censée être accompagnée de « valeurs ». Ces dernières traduisent ce qui « vaut », ce qui a de l’importance et de l’intérêt. Mais alors, comment ce qui avait de l’intérêt et de l’importance peut être de même « valeur » aujourd’hui qu’il y a 150, 300 ou 2000 ans ? Etant donné que la tradition est un héritage du passé qui se fait présent, deux « temps » se percutent car les valeurs ne peuvent être les mêmes à l’identique, elles évoluent en leur temps, avec les sociétés, les mentalités.

Les valeurs traditionnelles peuvent-elles évoluer dans le temps ?

La tradition aurait-elle un lien avec l’orthodoxie ? « Penser dans la bonne voie », « être conforme » aux écritures religieuses par exemple, « dans le respect des traditions » diraient d’autres. Il est vrai qu’une tradition est souvent inspirée par un fait religieux, ou qu’une tradition soit érigée au rang de véritable « religion », avec comme capacité de reprendre les codes des cultes : des cérémonies, des représentants qui ont leur culte, des icônes etc. L’orthodoxie est associée aux religions faisant appliquer les textes « à la lettre » sans que ceux-ci puissent être discutés, amendés, modifiés ou même critiqués. Ce qui est à faire, à penser, à suivre est dans l’écriture concernée. La « tradition » lorsqu’elle est élevée au rang d’argument pour justifier tel ou tel comportement, telle ou telle pratique semble refléter une certaine orthodoxie de la valeur ou des valeurs présentes au moment où ces textes ont été rédigés. Ils ne pourraient souffrir d’aucun changement.

Peut-on repenser la tradition au présent ?

En étant figée dans un présent qui ne les reflète pas – puisqu’elles n’ont pas évolué avec le temps – les traditions peuvent-elles être repensées, modifiées, amendées quelles que soient leurs origines ? Évaluer, réévaluer, donner une nouvelle valeur à certaines traditions semble être un travail – au sens de tripalium – de longue haleine.  La « valeur » d’un être humain n’était pas la même il y a 200 ans qu’aujourd’hui, celle d’une femme encore moins, et tout autant si ce n’est pire, pour celle d’un animal. Pour l’être humain, cela dépendait souvent de son origine sociale. Pour une femme, d’être ce qu’elle était et pour un animal, ce dernier était comparable jusqu’à peu, à un « bien meuble » aux yeux de la loi.

Le propos n’est pas ici de porter un jugement car à tout phénomène il faut rapporter une temporalité. Porter un regard accusateur depuis le présent sur des comportements, des a priori, des méconnaissances, des ignorances ou bien encore des croyances serait mal à propos. Le but est de les interroger, de comprendre l’origine de ces valeurs qui ne semblent plus correspondre à celles de notre temps.

La repenser est-ce l’abandonner ?

L’évaluation d’une tradition et le fait que cette dernière nous soit transmise depuis le passé n’est pas forcément un gage de « qualité », de « bonne voie de la pensée », de « bonne direction » de l’esprit, ni même qu’elle se trouve « conforme » à quelque chose de raisonnable. Elle peut – voire elle doit – être repensée à l’aune du présent. Il se peut que la gêne occasionnée par cet examen des traditions mette en exergue des peurs souvent engendrées par le fait qu’elles soient associées à l’idée d’une continuité qui se verrait « empêchée », d’une « transmission » qui ne se ferait plus, d’une ex-tradition, une mise « au dehors » de ceux qui la prône ou qui la mette en actes. Ils peuvent également penser que leur existence est intrinsèquement imbriquée à celle-ci. Repenser une tradition ne veut pas dire la possibilité a priori de la refuser ou de la rejeter. Elle doit simplement être argumentée raisonnablement au risque de remplacer une orthodoxie par une autre.

S’il fallait conclure

Les traditions ne valent que si celles et ceux qui en sont dépositaires leurs redonnent du sens, une direction et une signification au présent. La chasse est-elle un sport, une tradition ? La corrida cristallise les opinions sur la mise à mort du taureau, n’est-il pas temps de la repenser ? Le sujet de la répression des minorités s’invite dans le milieu footballistique, est-ce politique ? Redonner une direction c’est tendre vers une nouvelle approche du monde dans lequel on est et redonner une signification serait donner une portée à nos actes. Les traditions ne semblent pas pouvoir échapper à ces cogitations.

 

Un article par Sophie Sendra Toutes ses publications

2 commentaires pour “De la tradition

  1. La corrida n’est pas une tradition, mais un rituel, pis encore un rituel sacrificiel. La mise à mort rituelle d’un animal, ajoutée au décorum, à la musique, à la liesse populaire, et la ferveur des aficionados, est un spectacle solennel, violent, au plus haut point dramatique, quasi religieux.

  2. Il n’y a rien de traditionnel dans la corrida, un évènement, que dis-je, un spectacle où on assiste à la mise à mort d’un animal qui fait tout pour se défendre. cette industrie de la corrida nous fait croire le mensonge comme quoi le toro serait un animal agressif et brave qui cherche à déstabiliser le torero, voire le blesser.pas du tout, le toro cherche à se défendre d’une mort imminente qu’il ressent s’approcher. toute personne réagirait de la même manière si elle se trouvait face à son assaillant et qu’on devait se battre pour en sortir vivant. alors, pourquoi s’étonne-t-on lorsqu’on voit un toro vouloir arracher la jambe du torero ? si on peut la qualifier de tradition, c’est une tradition extrêmement archaïque. n’est-il vraiment pas possible de trouver une solution qui éviterait de tuer l’animal ? je crois que oui, or cette curiosité malsaine de voir la mort d’un animal nous hante et fait que cette pratique de violence extrême soir perpétuée.

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