Quoi ?
Kant part du constat que l’enfant – nous dirions plutôt l’adolescent, voire le jeune adulte – est tenté d’ « apprendre la philosophie » au lieu d’ « apprendre à philosopher » : « Il pense qu’il apprendra la philosophie ; mais c’est impossible, car il doit maintenant apprendre à philosopher ».
A l’occasion de ses cours du semestre d’hiver 1765-1766, Kant s’engage dans des propos sur l’enseignement, en général, et, en particulier, sur l’enseignement de la philosophie. C’est au cours de cette annonce qu’il tient une argumentation que rend la citation suivante – en réalité apocryphe : « il faut apprendre à philosopher et non pas la philosophie ».
Philosopher n’est pas restituer un raisonnement – et encore davantage une simple affirmation – dogmatiquement appris. Philosopher, c’est refaire en soi-même et par soi-même le raisonnement d’un philosophe, pour ensuite être capable de raisonner en soi-même et par soi-même – avec ou sans l’appui du raisonnement d’un autre penseur. Là, je serai dans une attitude qui, si elle n’a pas encore atteint le stade de l’esprit critique, tend du moins vers celui-ci et s’éloigne du dogmatisme.
Pourquoi ?
« Apprendre la philosophie » s’entend ici au sens d’emmagasiner des contenus de connaissance comme on remplit son panier au marché. Cela étant, on est alors capable de restituer ses connaissances, mais extérieurement, c’est-à-dire sans se les être appropriées et, surtout, sans en avoir saisi le sens.
Restituant mes connaissances ainsi apprises, je suis pareil au perroquet dont parle Descartes (Lettre au marquis de Newcastle du 23 novembre 1646) : il restitue certes des sons qui font sens chez ceux qui les ont intérieurement acquis, mais chez celui-ci ils n’en demeurent pas moins creux (vides de sens et de pensée) pour ce qu’il les a acquis extérieurement.
Qui ?
Certains élèves qui sont d’abord tentés d’apprendre par cœur le cours dispensé par leur professeur de philosophie et pensent qu’il en va en cette matière comme en d’autres enseignements, où restituer ses connaissances suffit à satisfaire les exigences de la discipline. Or, que nenni !
Quoique cela puisse être utile, connaître sur le bout des doigts son cours n’est pas la clé de la réussite lorsqu’il s’agit de s’éduquer à la philosophie. La philosophie n’est pas un savoir figé mais un savoir en mouvement : c’est pourquoi le verbe « philosopher » est mis en relief par Kant.
Je peux donc bien apprendre par cœur la Critique de la raison pure – soyons fous ! – cela ne fera pas que je philosopherai au moment où je restituerai les pages de Kant – aussi philosophiquement brillantes soient-elles ! – car je ne les restituerai que dogmatiquement, c’est-à-dire par des sons vides de tout sens.
Comment ?
« Apprendre à philosopher » plutôt qu’ « apprendre la philosophie », voilà qui s’apprend ! Spontanément nous tendons à « apprendre la philosophie », car c’est ainsi que nous avons pu être habitués par d’autres disciplines – que Kant rassemble en deux groupes : les disciplines historiques et les disciplines mathématiques.
Ces champs disciplinaires nous habitueraient à prendre les livres comme des encyclopédies, dont le contenu peut être appris dogmatiquement – pour ne pas dire aveuglément. Or c’est précisément de cette habitude dont il faut se délester afin d’entrer dans le champ philosophique ; et ce n’est pas là une mince affaire !
L’effort de fond, en philosophie, consiste à ne pas céder à l’argument d’autorité et à lutter pour penser avec l’auteur qu’on lit – ce n’est qu’à ce prix qu’il est légitime d’ensuite lui adresser des objections ou abonder en son sens. A ce moment-là, j’apprends à philosopher – apprentissage en droit infini – sans verser dans « [l’apprentissage de] la philosophie ».
Ce qui donne…
Sapere aude ! Aie le courage de penser par toi-même !
Une citation décryptée par Antonin Curioni Toutes ses publications
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