La Capsule Philo #1 – Je n’ai pas répondu à mes mails

C’est une envie qui nous anime depuis longtemps : celle de diversifier les manières de faire des pauses philo. Pour donner la parole au plus grand nombre sur les pratiques concrètes de la philosophie, nous avons le plaisir d’annoncer la création des « capsules philo »!  Nous en sommes au début de ce projet, et beaucoup de choses restent à améliorer, mais nous espérons que vous aimerez ce nouveau format de podcast court et qu’il vous permettra de continuer à interroger votre quotidien à l’aune de la philosophie.

 

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Hier soir, j’ai regardé un excellent film. Ce fût un plaisir qui m’a pourtant laissé un petit arrière-goût amer.

Je m’étais en effet promis de répondre à plusieurs messages dont certains devenaient un peu urgent.

Finalement j’ai renoncé et me suis laissé absorbé par le film.

Et pourtant, objectivement, le traitement des messages aurait été la meilleure décision.

J’ai donc terminé la soirée en n’étant pas très fier de moi. Je me suis un peu réconforté en me disant que ce genre de mésaventure concernait sans doute pas mal de monde.

Du coup, ce matin, je me suis demandé si des philosophes avaient eu la bonne idée d’aborder ce sujet pour ne pas laisser dans le désarroi leurs congénères.

Mais quel sujet exactement ?

En y réfléchissant un peu plus, il m’a semblé que je ne m’étais pas menti à moi-même : je n’avais pas essayé de biaiser et avais parfaitement conscience de ce qu’il convenait de faire de ma soirée d’hier. Disons que j’ai plutôt agi contre mon meilleur jugement.

C’est justement ce trait de la pensée qu’Aristote nommait Acrasie. A sa suite, des philosophes contemporains comme John Elster ou Ruwen Ogien ont préféré parler de faiblesse de volonté.

Si l’on reprend les textes de ce dernier auteur pour essayer de comprendre cette étrange faculté de notre esprit à décider contre lui-même, on peut en retenir deux grandes idées :

  • La première est que l’acrasie, ou faiblesse de volonté, consiste finalement à ne pas prendre en compte l’ensemble des informations auxquelles on a pourtant accès pour juger de la situation.
  • La seconde idée est que la personne dont la volonté manifeste des signes de faiblesse tire les bonnes conséquences des données sur lesquelles elle s’appuie…tout en sachant qu’il existe des éléments pertinents qu’elle laisse de côté.

C’est ce constat qui permet à Patrick Savidan de dire que la faiblesse de volonté conduit à ne pas être raisonnable mais n’empêche pas d’être logique.

Me voici donc un peu rasséréné : ma honte est un peu moins grande maintenant que je sais qu’en me laissant aller à mes penchants cinématographiques j’ai été inefficace mais pas forcément inconséquent…

Mais alors, l’acrasie permettrait-elle de réhabiliter la paresse où le refus de faire son devoir ?

Pas exactement. Elle nous conduit plutôt à voir que ce n’est pas forcément cette question qui est en jeu lorsque l’on ne fait pas ce que l’on devrait. Il faut plutôt envisager la possibilité qu’il n’y ait pas de lien direct entre le vouloir et le faire

La notion nous permet de prendre du recul par rapport aux conceptions trop moralistes de la responsabilité individuelle pour qui, quand on veut on peut !

Comme souvent, quand on prend un peu de distance avec le moralisme, on peut mieux prendre en compte le réel et, en l’occurrence, il est plus facile de comprendre pourquoi les sciences humaines arrivent plutôt à une conclusion opposée sur le sujet. Elles constatent par exemple que si l’on peut faire de longues études on a plus de chances d’être motivé pour le faire…

Pour le dire de façon lapidaire, c’est plutôt le « si l’on peut, on veut » qui semble le mieux expliquer les conduites.

Bon je me résume.

Le triste sort réservé à mes messages ne doit pas être d’abord analysé comme un manquement moral mais comme un manque de pertinence de mon choix au regard de certaines caractéristiques objectives de la situation. J’ai été plutôt mal avisé que mal intentionné.

Le sentiment d’inconfort que j’ai commencé par ressentir en ne faisant pas ce vers quoi mon jugement me guidait confirme l’intensité d’une question philosophique connue sous le nom de paradoxe d’Ovide : « je vois le bien, je l’approuve…et je fais le mal ! »

La mobilisation de la notion d’acrasie ou de faiblesse de volonté ne permet certainement pas de le solder. Cela permet simplement de constater qu’aborder cette question avec une vision moraliste ne permet pas d’en saisir les enjeux pratiques.

 

Merci à l’équipe de La Pause Philo pour cette capsule :

 

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