Peut-on croiser les chemins de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) et de la philosophie de terrain ? Est-ce que la détermination à penser l’action et le désir de donner du sens aux enjeux du vivre ensemble pourraient être les vecteurs d’un tel rapprochement ? Pour éclairer ces questionnements, nous sommes allés à la rencontre de Serge Saada, professeur universitaire et responsable pédagogique dans l’association Cultures du Coeur, qui depuis 1998 vise la transformation sociale à travers la culture. Au programme de cette interview, une interrogation sur les possibilités de transformations sociales via la culture, avec en décryptage le changement social, la culture et la notion (pas que) économique de “valeur”. Bonne pause !
Engagée dans la lutte contre l’exclusion culturelle, Cultures du Coeur est un réseau d’associations territoriales qui favorisent l’accès aux pratiques culturelles pour les plus vulnérables, notamment dans des quartiers prioritaires en France et au Québec. Leur pratique se nourrit de l’Observatoire de la Médiation Culturelle qu’ils ont mis en place : un projet de recherche-action qui vise l’approfondissement théorique à la pratique professionnelle. L’association Cultures du coeur considère que les pratiques culturelles partagées favorisent l’esprit critique, le dialogue interculturel, œuvrent pour une meilleure compréhension de soi et des autres, et concourent ainsi au ciment social, à l’exercice de la démocratie participative et de la citoyenneté.
Être vecteurs d’émancipation
La Pause Philo : Cultures du Coeur est une association qui vise le changement social à travers la culture. Qu’entendons-nous par “changement social” ?
Serge Saada : Le changement social peut être envisagé de plusieurs façons. Le mise en place des pratiques culturelles dans un cadre social qui ne leur est pas forcément dédié, modifie à la fois les pratiques professionnelles des travailleurs sociaux et celles des personnes accueillies dans les structures sociales. Le changement réside aussi dans la faculté des travailleurs sociaux à intégrer dans leur pratique quotidienne des actions culturelles mais aussi dans la capacité des publics les plus vulnérables à s’autoriser ces mêmes pratiques.
Il est parfois difficile de distinguer dans un projet social global ce que la culture apporte aux personnes accueillies. Cependant, même s’ils manquent d’outils pour évaluer leur efficacité, les travailleurs sociaux les plus investis dans ce type d’action perçoivent comme une évidence les effets sur le bien être des personnes accueillies d’abord et, par conséquent, sur leur socialisation.
La reprise de pratiques culturelles ou la participation à une sortie culturelle, un atelier de théâtre, de musique ou de peinture, ont des effets mesurables, qui vont de l’établissement de liens nouveaux à la reprise d’une activité professionnelle. Cependant, les travailleurs sociaux ne veulent pas toujours justifier sur le terrain de l’insertion la mise en place de pratiques culturelles dans leur structure. Pourtant, la simple reprise de sorties culturelles permet d’investir des territoires concrets et symboliques que l’on s’interdisait par manque de moyens, ou par une idée immuable que l’on se fait de sa condition économique. L’action de Cultures du Cœur a permis à des milliers de personnes de s’autoriser à franchir le seuil de lieux qui leur paraissaient interdits jusqu’ici, mais aussi de produire des discours, des manières de voir, de ressentir et de faire, qui sont autant de vecteurs d’émancipation commune pour les travailleurs sociaux et pour les bénéficiaires du dispositif aussi.
“Il s’agit d’établir des passerelles entre une culture labellisée et une culture relevant des coutumes”
LPP : Dans votre regard, la culture a un rôle majeur. De quelle culture parlons-nous ? Dans quelle mesure la culture pourrait être à l’origine d’un changement social ?
Serge Saada : J’entends ici la culture dans son acception la plus large. Il ne s’agit pas uniquement de parler d’“art” ou d’“artiste”. Si aujourd’hui arts, cultures et loisirs se confondent, ce n’est pas si grave car l’on reconnaît les loisirs comme des pratiques culturelles. Il s’agit justement d’établir des passerelles entre une culture labellisée et une culture relevant des coutumes, ou une culture spontanée que l’individu s’est construit avec le temps.
Nous travaillons sur le dispositif de la sortie culturelle via un réseau de plus de 6000 partenaires culturels et de plus de 4000 relais sociaux en France et au Québec. Nos relais sociaux mettent en place des permanences de préparation et de retour de sortie selon trois axes : le respect de la liberté de choix des publics, l’autonomie et la gratuité. Nous formons aussi les travailleurs sociaux à la médiation culturelle.
Les difficultés auxquelles nous sommes confrontés sont souvent liées à une question de moyens. Les travailleurs sociaux sont confrontés à une rationalisation de leur temps de travail et à une culture du résultat, ce qui peut les conduire à réduire le temps accordé à la culture. L’intérêt pour ce type de pratique est lié aux contraintes économiques et il est fréquent que les acteurs sociaux doivent redéfinir leurs arguments pour défendre ce type d’action dans le temps.
Un enjeu partagé, un enjeu de société
LPP : Quels sont vos projets futurs et vos espoirs pour l’avenir ?
Serge Saada : Un espoir de réussite est mis vers le projet national « Respirations » qui nous a permis de mutualiser nos actions avec deux autres réseaux importants Les petits débrouillards et La fédération des acteurs de la solidarité pour toucher davantage d’enfants et de famille sans domicile fixe et leur faciliter un accès à la vie culturelle et scientifique. Dans ce cadre nous tenons aussi à multiplier les formations à la médiation culturelle en direction des travailleurs sociaux.
Nous portons également un espoir politique : que cette question des inégalités d’accès, de participation, de partage de la vie culturelle d’un pays devienne un enjeu de société.
Pour en savoir plus :
- Le site de Cultures du Coeur
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J’ai une pensée pour Sacha ; j’espère qu’il ne m’en voudra pas que je divulgue son nom ; il est d’ailleurs je crois sur ce réseau social.
Nous étions allés au Louvre il y a presque dix ans ; il était sans toit et laissait à chaque fois au vestiaire tout son bardas ; salle Napoléon, expo sur Rembrandt et les visages du Christ ; il a trouvé ça lugubre et m’a vite pressée de lui montrer autre chose ; peut-être un an plus tard, nous faisons un tour dans les salles des peintres hollandais toujours au Louvre ; je le surprends en arrêt devant un tableau de taille moyenne ; sans quittter les pèlerins d’Emmaüs de Rembrandt, il murmure :
C’est beau !
J’ai pu ainsi gratuitement me promener au Louvre et dans d’autres musées avec d’autres Sacha , et ceci grâce au Champ Social dont la mission Vivre Ensemble offre aux structures caritatives la possibilité de voir ce que voient plutôt les privilégiés ; c’était une directive de monsieur Ailagon ministre de la culture