Un certain regard sur les A priori

Quel rapport y-a-t-il entre une critique neuroscientifique de la philosophie de Descartes, une enquête d’espionnage du temps de William Shakespeare, une sagesse ancestrale appliquée au management, un voyage poétique et philosophique en terre de Chine et une analyse signifiant-signifié des pictogrammes ? A priori aucun. Sauf peut-être si je m’arrête un instant sur ce que je viens d’écrire à savoir « a priori ». Cette locution latine qui veut dire avant expérience ou examen approfondi – dans son entièreté exacte « a priori ratione » – est sans doute ce qui relie tous les ouvrages dont je vais parler ici.

Ainsi, lorsqu’on lit des ouvrages, loin d’obtenir des réponses définitives, il reste parfois l’étrange sensation d’obtenir plus de questions qu’on ne pouvait en soupçonner au départ de la lecture. La question philosophique posée est celle de savoir si au départ d’une lecture nous cherchons à conforter notre idée sur un sujet que nous pensions connaitre ou si nous cherchons à découvrir un sujet que nous ne connaissions pas ? Cherchons-nous à valider ou à déconstruire nos « a priori » serait la question subsidiaire.

A priori, dans Le cauchemar de Descartes (Ed. Albin Michel), Stéphane Charpier explique les dernières connaissances en matière de neurosciences et semble tordre le cou au dualisme cartésien à savoir le « problème esprit-corps ». Entre âme, esprit, conscience, cerveau et corps qu’en est-il de notre libre-arbitre est la question en creux. L’esprit et le corps sont-ils bien séparés ? Quelles croyances perdurent depuis Descartes sur cette question ? Les neurosciences expliquent-elles tout de ce dualisme qui semble être tantôt une illusion, tantôt une réalité ? Ne sommes-nous que des « hommes neuronaux », des êtres uniquement guidés par un enchevêtrement de signaux électriques, pour reprendre le titre d’un ouvrage de Jean-Pierre Changeux. Il existe des réponses mais aussi et surtout des questions qui restent en suspens et que pose l’auteur, celles concernant la subjectivité et, au-delà de la critique qu’il fait du « je pense donc je suis », celle de savoir comment nait le doute qui est au cœur de cette pensée cartésienne et de celle qui dirige les questions philosophiques à savoir la question du Sens et de la raison d’être de cette conscience phénoménale. La connaissance scientifique en la matière n’en est certainement qu’à ses débuts.

A priori, dans un monde où tout s’accélère, où l’immédiateté est prônée par les créateurs de nouvelles technologies comme étant le graal, on serait bien mal inspiré de ralentir et de faire un pas de côté au risque de louper la marche du temps et de la modernité. Et si après expérience, donc a posteriori, on s’apercevait que ce sont la lenteur, la patience et la contemplation qui permettent des accélérations d’un nouveau genre et une immédiateté qui n’est pas celle qu’on croit ? Dans Le Potier du Fujian (Ed. La Route de la Soie), Sonia Bressler nous invite à découvrir à la fois une région de Chine, un paysage magique et une philosophie poétique qui permet de « réapprendre l’essentiel ». Au travers de ce carnet de voyage, une accélération dans l’introspection se fait jour, une immédiateté de la pensée de Lao Tseu émerge et les réflexions de Li Bai se confondent avec les perspectives et la création d’une petite poterie. Que retenons-nous de nos expériences créatrices : l’objet créé ou le cheminement qui a permis de façonner l’objet ? Les Grecs de l’Antiquité diraient la poésie elle-même puisque le mot désigne « l’acte de faire », « la création ». Un récit entre méditation et voyage initiatique illustré par l’auteure elle-même qui laisse sous nos yeux les émotions s’épanouir. Se réconcilier avec soi-même au travers d’un acte de partage, peut-être est-ce là le secret de la transcendance. Cet ouvrage nous en donne un aperçu et c’est déjà un beau cadeau.

A priori, nous connaissons le nom de William Shakespeare, nous avons entendu parler de son existence, des « troubles » liés à sa supposée « inexistence » puisqu’il subsiste peu de traces de lui, mais pouvons-nous imaginer qu’une histoire d’espionnage se tramerait derrière les secrets de ce personnage illustre du théâtre anglais ? C’est ce que propose Louise Guillemot dans William Shakespeare, au service secret de sa Majesté (Ed. Les Petits Platons). Dans ce tome 1 intitulé, Je serai comédien, nous suivons les débuts de William entre rencontres historiques, espionnage et intrigues. Avec la complicité de l’illustratrice Jeanne Macaigne, l’auteure agrégée de lettres classiques nous force à nous interroger sur les véritables raisons de la disparition d’un Shakespeare que nous pensions connaitre, mais dont nous savons en définitive peu de chose. Même s’il s’agit ici d’un roman, de 9 à 99 ans tout le monde sera conquis et celles et ceux qui pensaient connaitre la vie de W. Shakespeare auront des doutes sur les raisons de sa disparition. Un bel ouvrage qui rend hommage à une phrase célèbre « Être ou ne pas être, telle est la question ». Heureusement, Les Petits Platons sont, et c’est une bonne chose !

A priori, le management est une discipline des temps modernes qui est rattachées à des règles mouvantes et paradoxales – pour paraphraser Bergson – et qui souffre régulièrement de changements de méthodes, de contradictions, de manuels de pratiques et de règles parfois inapplicables. Dans La sagesse ancestrale chinoise est-elle applicable au management ? (Ed. La Route de la Soie), Hervé Azoulay propose de lire et relire les différentes perspectives qu’offrent les pensées du confucianisme, du taoïsme et du bouddhisme adaptées aux approches managériales actuelles. Loin d’opposer les approches, l’auteur offre bien au contraire des possibilités de réconciliations entre pratiques occidentales et traditions chinoises. Les cultures, lorsqu’elles se rapprochent au lieu de se diviser, offrent la possibilité aux méthodes et aux individus d’activer leur imagination. Il s’agit pour l’auteur d’offrir une « conjugaison » créatrice de Sens, loin d’une approche partisane. Le management harmonieux comme point d’horizon voilà un début de réflexion, nul doute que la mise en pratique soit l’occasion de déconstruire les idées préconçues. Seule l’épreuve de l’expérience fera foi.

A priori, nous connaissons bon nombre de pictogrammes qui nous indiquent par signes un danger, une direction à prendre, un objet etc. Mais comprenons-nous réellement ce qui est signifié derrière certains d’entre eux que nous croisons régulièrement ? C’est la question que s’est posé Serge Tisseron dans son ouvrage Au fond du couloir à gauche (Ed. Armand Colin). Au travers d’une collection impressionnante de panneaux indiquant les toilettes, l’auteur nous donne à découvrir en quoi ces pictogrammes qui ont traversés des décennies d’indications en tout genre, façonnent quelque peu ce à quoi nous devons nous conformer sans même y penser. Les panneaux des toilettes régissent-ils une conformité à adopter et à suivre ? Dans cette « histoire des représentations inédite et décalée qui interroge les injonctions du quotidien », Serge Tisseron nous oblige à réfléchir sur ce que nous ne voyons plus par habitude, sur le signifiant et le signifié, sur les a priori et sur ce que cela dit également de nous-mêmes. Un ouvrage étonnant, illustré par des images surprenantes de détournements créatifs. La philosophie étant un étonnement permanent, ici il est constant et les questionnements qui affluent après lecture sont à la fois modernes et historiques. Ce qui est certain, c’est que vous ne verrez plus jamais un panneau indiquant les toilettes de la même manière !

 

Une chronique par Sophie Sendra Toutes ses publications

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