Le cours de l’histoire a montré que la notion de progrès avait laissé la place au processus d’innovation, notamment scientifique et industrielle. Devons-nous opposer ces deux concepts ou bien sont-ils à réconcilier pour améliorer l’essence de notre humanité ?
Des origines du progrès
Le progrès repose sur le mythe de l’homme prométhéen qui se positionne comme maître et possesseur de la nature. Or, ce mythe s’essouffle, notre rapport au monde a changé et conduit à une perte de confiance en l’avenir. L’homme qui, selon Descartes, est comme maître et possesseur de la nature, peut-il encore imaginer le progrès alors même que les conditions de sa fragile existence le rattrapent et que la nature se rappelle à lui avec insistance ? Comment envisager le progrès lorsque l’on crée une intelligence artificielle qui imposera, de facto, de profondes mutations ? L’Humanité possède aujourd’hui des pouvoirs d’innovation qu’elle ne semble pas toujours en mesure de maîtriser et qui nous amènent à associer l’inquiétude à la notion de progrès. Nous n’avons jamais eu autant un sentiment d’impuissance face au vertige de l’avenir qui s’ouvre devant nous. Seul l’optimisme de la volonté nous permettra de créer les conditions d’un futur désirable.
Du progrès vers l’innovation
Si on se penche sur l’histoire et la fréquence d’utilisation du terme “progrès”, on constate sa progressive disparition du vocabulaire public, et son remplacement par le mot “innovation”. Si l’on peut penser que cela résulte d’une modernisation de notre façon de voir le progrès, c’est une idée reçue. En effet, le progrès diffère de l’innovation par le facteur de temporalité, qui n’est pas le même. Si l’innovation est contrainte par l’état critique du présent et est une forme de protection, le progrès est lui une construction dans le temps, un mouvement collectif et non individuel et doit être perçu comme un mouvement global.
L’innovation fait partie du progrès. Il faut l’aménager pour qu’elle devienne progrès. Or le progrès est un chantier, et non une réponse immédiate. Il ne faut ainsi pas abandonner le mot “progrès” mais le retravailler. Sans doute faut-il le redéfinir à l’aune des attentes actuelles. Première étape indispensable : s’affranchir d’une vision datée du progrès qui l’associe à quelque chose d’immédiat et d’intrinsèquement bon. Il est impératif de garder en tête l’ambiguïté, le double sens du progrès, qui peut être autant une évolution négative qu’une avancée positive. Être réaliste et considérer l’aspect négatif du progrès, mettre en lumière ce qui ne va pas permet justement l’amélioration.
Introduire l’éthique au progrès
Axer le progrès sur la seule performance technique n’est plus accepté dans nos sociétés. Pour qu’il soit réellement utile, le progrès doit revêtir une dimension éthique.
Aujourd’hui, les fruits du progrès ne sont plus visibles comme à une certaine époque, là ils se traduisent comptablement en valeur marchande, le PIB, ils ne prennent pas en compte le lien social qui traduit le niveau de satisfaction dans l’existence. Les entreprises doivent proposer du sens, cela veut donc dire, une direction, ce qui rejoint l’idée de progrès et d’orientation. Pour elles, le progrès conserve une force symbolique très positive, c’est investir dans un nouveau périmètre qui leur était jusqu’à là étranger en particulier celui de la responsabilité sociale et sociétale. La prise de conscience et la mobilisation sont là.
Il est nécessaire de penser le récit du progrès pour en définir les contours et en faire un véritable projet. Face à une société fragmentée, comment construire ce récit ? Le philosophe Leibniz parle du principe de raison suffisante. On ne vit pas dans le meilleur des mondes mais on vit dans le meilleur des mondes possibles. Alors, pour regagner la confiance, quelle éthique commune du progrès ? Redéfinir le progrès est lié à l’universalité. Collectivement, il est crucial de savoir où aller, car il est impossible de juger d’une avancée s’il n’y a pas d’horizon vers laquelle tendre.
