Simone Weil, 6 clés éthiques pour aujourd’hui

Simone Weil (1909 – 1943) fait partie de ces auteurs qui nous appellent plus à méditer et cheminer avec eux qu’à prétendre les avoir décryptés et digérés une bonne fois pour toutes. De sa pensée complexe, subtile et nuancée, on peut toutefois tirer des jalons éthiques puissants pour conduire sa vie.

  1. L’exigence de la vérité

Ce qui frappe, chez Simone Weil, c’est peut-être d’abord cette recherche de cohérence vertigineuse entre sa vie et son œuvre, animées par une même soif de vérité et de refus du dogmatisme. Chez elle, la recherche de vérité s’ancre d’abord dans un rapport authentique au monde : connaître et comprendre ce qui l’entoure, cultiver un désir authentique de savoir, plus que chercher à digérer des kits utiles de connaissances pratiques ou suivre une voie déjà toute tracée. Avec Simone Weil, aucune réponse facile ni immédiate.

 

  1. Le terrain comme terreau de pensée et d’action

Pour autant, ce serait un contresens de croire que la pensée de Simone Weil nous invite à la seule réflexion abstraite. Chez elle, au contraire, tout part de l’observation du réel et de l’épreuve de situations vécues. Elle pense par exemple la condition ouvrière en ayant effectivement travaillé à l’usine. Pour analyser les maux de sa société et penser les remèdes adéquats, elle se garde de prétendre pouvoir fonder une méthode unique : à situation exceptionnelle, méthode exceptionnelle. Le réel comme seul horizon de pensée et d’action, c’est ce à quoi nous invite Simone Weil, sans position surplombante ni abstraction stérilisante.

 

  1. Les besoins de l’âme, point de départ de toute éthique

Le point de départ de son éthique est celui de l’impérative nécessité de respecter les besoins de chaque être humain : « Il y a obligation envers tout être humain, du seul fait qu’il est un être humain, sans qu’aucune autre condition ait à intervenir, et quand même lui n’en reconnaîtrait aucune. » souligne-t-elle dans l’Enracinement. Ces besoins, qu’elle tente d’énumérer au début de cette œuvre, sont physiques et moraux, mais aussi spirituels. Elle appelle ces derniers les besoins de l’âme. Ils forment pour elle des couples de notions qui entretiennent un rapport dynamique et que l’on croit à tort opposées (l’ordre et la liberté, l’obéissance et la responsabilité, l’égalité et la hiérarchie, l’honneur et le châtiment, la liberté d’opinion et la vérité, la sécurité et le risque, la propriété privée et la propriété collective). C’est bien la compréhension de leur sens profond et la prise en compte de leurs implications qui doivent former le socle de toute éthique, de toute action personnelle autant que de toute organisation collective.

 

  1. S’obliger d’abord : l’obligation avant les droits

Pour autant, et c’est le tour de force de sa pensée, elle renverse notre mode de raisonnement contemporain : avant de réclamer des droits, il faut s’obliger soi-même. S’obliger, et non se contraindre. En toute autonomie, donc, il s’agit de prendre la mesure de sa responsabilité et de prendre sa part pour assurer la satisfaction des besoins fondamentaux de chaque humain. Pourquoi s’obliger avant de faire valoir ses droits ? C’est une question de logique pour Simone Weil : avant d’avoir des droits, nous avons des obligations… C’est parce que nous nous obligeons que l’on rend effective l’existence de droits pour soi et pour les autres. Parce que je m’oblige à apprendre, je jouis de mon droit de connaître. Parce que, tous, nous nous obligeons à ne pas tuer notre prochain, nous jouissons du droit d’être sains et saufs, etc. Je n’ai de droits que parce que les autres s’obligent vis-à-vis de moi. Si je me considère moi-même, c’est donc à mes obligations que je dois veiller. Et si je pense aux autres, à leurs droits. Car je n’ai de maîtrise que sur ma conduite propre.

 

  1. Garantir l’autonomie de chacun

Ce faisant, c’est tout sauf un régime de servitude volontaire que Simone Weil appelle de ses vœux, elle qui admirait La Boétie. Pour elle, l’autonomie, la capacité de chacun à se donner sa propre loi, est clé. Jusque dans le travail, elle fait de l’individu non plus un objet, mais un sujet actif de sa collectivité, un sujet en mesure de tenir ensemble le sens, le cadre et la portée de ses actions ainsi que la clé de leur réalisation. Elle exècre d’ailleurs la grandeur conçue comme une forte brute, qui écrase et oppresse l’homme, et dénonce avec constance les collectifs qui prétendent dicter à leurs membres ce qu’ils doivent penser ou faire. 

 

  1. Créer les conditions de l’enracinement

Favoriser l’autonomie, donc, mais pas l’isolement, car in fine, « le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine » est peut-être l’enracinement, cette « participation réelle, active et naturelle à l’existence d’une collectivité. » Être enraciné, c’est être en mesure de recevoir et de donner à son milieu : être nourri de sa culture et de son histoire, y avoir une place et pouvoir s’y projeter, mais aussi pouvoir le transformer par son travail manuel, artistique, intellectuel, etc. Dans une civilisation où les germes du déracinement se sont multipliés, où les liens entre l’homme et son milieu ne cessent d’être fragilisés, Simone Weil nous invite précisément à (re)créer les conditions de l’enracinement, c’est-à-dire à remettre à chacun les clés de son destin en lui donnant la possibilité de prendre librement part à sa collectivité. En somme, à créer un terreau fertile à l’épanouissement et au déploiement de tous, dans un rapport fécond de l’Homme et de son écosystème.

 

Un article par Apolline Escalière Toutes ses publications

 

 

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