De quelle(s) jeunesse(s) parle-t-on ?
Nouveau-né, bébé, enfant, ado… De qui parle-t-on quand on parle des “jeunes” ? Au 17ᵉ siècle, époque de Spinoza, on devenait adulte autour de 15-16 ans. Spinoza utilise les termes latins de “puer” (qu’on retrouve dans “puérilité”) pour les bébés, et “d’infans” pour les enfants. Quant aux ados, il n’en parle pas directement : même si le terme date de la Rome antique, ce n’est qu’à partir du 19ᵉ siècle qu’il sera utilisé pour désigner la période de la pré-puberté.
La jeunesse est comme en équilibre entre joie et tristesse
Lorsqu’on est jeune, et surtout dans les premières années de vie, nous balançons constamment entre la joie et la tristesse, selon un système d’imitation affective (Ethique, III, 32, scolie). Lorsqu’on perçoit de la joie chez les autres, on va naturellement imiter ces joies, et pareillement pour les tristesses. C’est le cas du bébé qui renvoie les sourires de ses parents. Il y a un effet d’émulation affective entre les individus, où plus des gens sont affectés d’une certaine manière, et plus cela aura de puissance pour soi et pour le monde. D’ailleurs, comprendre ses affects permet de mieux les canaliser pour soi et pour les autres. C’est pourquoi il est nécessaire de former les jeunes (et les moins jeunes) à reconnaître et exprimer leurs émotions.
L’imagination et la philosophie au service de la jeunesse
Spinoza distingue souvent la puissance imaginative de la puissance rationnelle. Plus on raisonne, moins on imagine et inversement : ce sont deux manières d’être dans la réalité, qui ont leurs avantages et leurs inconvénients. Dans la vie, on peut agir sous la conduite de l’imagination ou de la raison. L’imagination peut être une puissante alliée pour comprendre, construire des histoires, transmettre des idées, et elle est extrêmement vive chez les jeunes. Mais ce n’est pas une raison pour éloigner les jeunes de ce que Spinoza appelle “l’ordre du philosopher” : il est nécessaire de les conduire par la raison à penser le monde d’aujourd’hui et de demain. Spinoza enseignait la philosophie à de nombreux élèves, et il est certain qu’il soutiendrait les études de philosophie, même pour les plus jeunes enfants !
La jeunesse est par essence en devenir
Le corps des bébés et des enfants est apte à très peu d’actions, et leur esprit est très peu conscient d’eux-mêmes et de ce qui les entoure (Ethique, V, 39, scolie). L’essence de la jeunesse est de se développer et se transformer, d’où l’importance des questions identitaires à cette période de la vie. L’éducation a pour objectif de permettre à la jeunesse de changer de nature, et en devenant adultes, de devenir réellement actifs·ves dans le monde.
Éduquer la jeunesse, c’est lui permettre de devenir libre et pouvoir résister
Devenir actif est une visée à la fois éthique (devenir plus puissant·e, libre et joyeux·se) mais également politique. En éduquant la jeunesse et en lui permettant de devenir active dans le monde, l’objectif est aussi celui d’une libération à la fois individuelle et sociale. Par la raison, les jeunesses d’aujourd’hui et de demain peuvent résister avec des armes durables (car intellectuelles) aux différentes formes de pouvoirs despotiques. Pour Spinoza, seuls les citoyens qui comprennent les règles et les lois sociales sont capables de les changer et d’arrêter de les subir.
Article initialement publié dans le rapport « (Re)donner confiance à la jeunesse » de la Fabrique Spinoza