Nous avons rencontré l’éthologue Marie Pelé, afin de découvrir une spécialisation universitaire unique en France consacrée à l’« Éthique et droit de l’animal », proposée depuis septembre 2015 par l’Université de Strasbourg. Elle est y co-responsable (avec Cédric Sueur, également éthologue) de l’unité d’enseignement d’Éthique animale.
Par ailleurs, Marie Pelé dirige Éthobiosciences, un cabinet d’expertise et de recherche dont l’objectif est de promouvoir l’éthologie animale auprès du grand public, tout en œuvrant à l’enrichissement du cadre de vie des animaux tenus captifs (notamment au sein des zoos et parcs animaliers) et à la réhabilitation des animaux de laboratoire.
La question du respect des animaux est devenue un sujet d’intérêt et de préoccupation pour le grand public. Seulement, beaucoup de questionnements restent à traiter théoriquement et surtout pratiquement : la création d’un tel parcours universitaire apparait comme un moyen de traiter à bras le corps les défis pressants suscités par la cause animale. Éthologie animale, droit et éthique semblent alors coïncider dans une démarche commune, en vue d’une action concrète. Marie Pelé nous explique ici les enjeux derrière l’enseignement conjoint de ces disciplines.
La Pause Philo : L’enseignement de l’éthologie au sein du cursus « Droit et éthique animale » semble inattendu, pourtant il est nécessaire. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi ?
Marie Pelé : L’emploi du terme ‘inattendu’ dans votre question est je le crois révélateur. Il pointe une problématique importante de notre pays : la dissociation des disciplines qui ont pourtant une visée commune ; dans notre cas l’animal. Je me pose même plutôt la question suivante : comment se fait-il qu’il ait fallu attendre 2015 pour que l’éthologie rencontre l’éthique et le droit animal dans un même cursus universitaire ?! Éthique et droit sont à vocations normatives, mais comment décider ce qui est le mieux pour l’animal sans le connaître, je dirais, dans sa réalité biologique.
L’éthologie permet ce rapprochement des savoirs car l’étude du comportement apparaît plus simple (mais ce n’est pas forcément le cas) que d’autres disciplines de biologie animale comme la physiologie. L’éthologie permet aussi de faire des ponts entre physiologie, écologie, psychologie… Elle englobe aussi deux échelles de temps : celle d’une vie (individu) mais aussi celle de l’évolution (espèce). L’éthologie permet ainsi d’avoir une vision plus globale de la Nature et de poser des bases de réflexion qui me paraissent très importantes pour le développement de l’éthique et du droit animal. Par exemple, ne plus considérer l’Animal que l’on place toujours en opposition avec l’Homme, mais bien les animaux dans toutes leurs spécificités d’espèces et d’individus.
LPP : Il est question de généraliser l’enseignement de l’éthique animale dans les écoles et les lycées. Quelles incidences pratiques pensez-vous que cela pourrait générer ?
M. P. : Certainement un plus grand respect de l’autre qu’il soit humain ou animal. Les sciences de la vie (entre autres) intéressent les plus jeunes. Dès la maternelle et jusqu’au collège, les enfants se passionnent pour les animaux de toutes sortes, mais aussi les plantes, les arbres… Ils veulent comprendre comment tout cela fonctionne. Cet intérêt a tendance à diminuer à l’adolescence surtout si l’entourage familial ne l’encourage pas. L’enseignement de l’éthique animale, en plus de celui des sciences de la Vie et de la Terre me paraît être une excellente idée ; surtout au lycée, quand les élèves commencent à être initiés à la philosophie.
N’oublions pas que la théorie de l’animal-machine de Descartes et Malebranche, où les animaux seraient des assemblages de pièces et de rouages, joue encore (et malheureusement) un rôle important dans la considération de l’animal dans notre société française. L’enseignement de l’éthique animale couplé à celui des SVT, et j’irai même plus loin en proposant celui de l’éthologie, permettraient aux élèves de pouvoir argumenter contre certaines thèses philosophiques et de pouvoir se forger leur propre sens critique.
LPP : Par ailleurs, Éthobiosciences, votre cabinet d’expertise, aurait aussi pu s’appeler « Éthibiosciences » ! La recherche en éthologie et ses implications concrètes vous semblent-elles foncièrement en lien avec une posture éthique vis-à-vis des animaux ?
M. P. : En effet, il est intéressant de noter que les deux termes éthologie et éthique ont la même racine étymologique. L’éthologie voit maintenant apparaître plusieurs sous-domaines comme l’éthologie humaine ou l’éthologie dite appliquée. L’éthologie appliquée permet de mettre en pratique les connaissances acquises dans un premier temps à titre fondamental. Elle joue un rôle primordial dans l’amélioration des conditions de vie des animaux maintenus en captivité, et notamment les animaux d’élevage.
Concernant la recherche et l’expérimentation animale en général, il est important de noter que désormais tout protocole doit être validé par un comité d’éthique comprenant des experts de la biologie, des statisticiens mais aussi des philosophes, des juristes. Toute personne qui souhaite intégrer un de ces comités d’éthique peut en faire la demande. Éthique et éthologie estompent leurs frontières et puisent de plus en plus l’une dans l’autre. Je suis certaine qu’il en sera de même pour d’autres disciplines dans un futur proche.
En savoir plus sur la spécialisation « Éthique et droit de l’animal » : http://ethique.unistra.fr/master-ethique/specialisation-en-ethique-animale/
Ce parcours s’insère dans le Master 2 « Éthique et Sociétés », au sein du Centre Européen d’Enseignement et de Recherche et Éthique (CEERE), et s’adresse en priorité aux étudiants en droit et en biologie.
En savoir plus sur les activités de Marie Pelé au sein d’Ethobiosciences :
http://www.ethobiosciences.com/
2 commentaires pour “Ethique, droit et éthologie au service de la cause animale – Interview de Marie Pelé”