Le vieux, énergumène mystérieux et bossu à trois pattes, parfois quatre, se déplaçant avec lenteur et précaution, le corps tremblotant et le visage mangé par la vie, est souvent accompagné, quand ce n’est pas d’un mini caniche à cape rouge, d’un caddie à trois roulettes, prouesse technologique capable de faire face à n’importe quel obstacle (mais surtout face aux escaliers).
Le dialogue avec le vieux se réduit à un monologue, le sien, consistant en l’énumération exhaustive d’épisodes de sa vie passée et en l’éloge enflammé de cette époque merveilleuse dont votre existence est la preuve vivante qu’elle est belle et bien révolue.
Cet individu aigri et asocial qui profite du système bien au chaud devant BFMTV, que l’on peut apercevoir errer dans les rues et lancer un regard haineux à toute personne se trouvant sur son trottoir qui ne s’est pas décalée à temps ; cette personne solitaire qui vous accuse de ne jamais vous lever dans les transports en commun tout en vous reprochant de le faire… La Pause philo a eu l’honneur de la rencontrer et de faire sa connaissance !
UNE CONFÉRENCE CITOYENNE SUR LE VIEILLISSEMENT
La Pause Philo a eu la joie de participer à l’animation d’une conférence citoyenne pour la Mairie de Paris, mise en place à partir du constat que la ville n’était pas adaptée au vieillissement de la population. Cet enjeu est de taille, puisque le nombre des seniors de 60 ans va croître de 1,7 % par an entre 2000 et 2030, et passer de 20,6 % à 29,4 % de la population.
En 2060, il y aura en France autant de personnes de plus de 50 ans que de moins de 50 ans. Il faudra alors développer des politiques du « bien vieillir » axées sur la santé des personnes âgées, le niveau de vie, l’accompagnement éventuel, etc.
De plus, on envisage sa retraite dès 55 ans et l’espérance de vie dépasse aujourd’hui les 85 ans. Quand on parle des « retraités », on parle en fait d’un groupe qui a plus de 50 ans de différence entre le plus jeune et le plus âgé ! Et entre 55 ans et 100 ans et plus, les besoins, attraits, capacités ne sont pas les mêmes…
C’est pourquoi un seul type d’action, une seule politique est une grosse erreur et qu’il est temps d’intensifier la prise en compte des « vieux » et d’agir en conséquence. Parce que demain, le vieux, ce sera vous.
Vous dans quelques années
La conférence citoyenne avait pour objectif d’engager une réflexion sur la qualité de vie des retraités et des futurs retraités afin de lancer un plan d’action en 2016 en faveur des personnes âgées sur tout l’arrondissement.
Oui, La Pause Philo s’est donc retrouvée enfermée avec une cinquantaine de vieux regroupés dans une même salle et invités à partager leurs pensées, et dont elle était à l’entière disposition, chargée de les écouter et de transmettre le résultat de leur travail.
Que s’est-il alors passé ? Avons-nous expliqué à la mairie, au terme de la conférence, ce que c’était que d’être un résistant sous le gouvernement de Vichy ? Ou bien, survivants miraculeux de cette rencontre, en avons-nous tiré un guide de survie face aux terribles vieux ? Eh bien non, rien de tout cela.
LE VIEUX, CETTE ESPÈCE TRÈS VIEILLE ET DÉPENDANTE
La conclusion générale que nous avons pu tirer de cette conférence citoyenne est que la politique actuelle à l’égard des personnes âgées… est âgiste !
Vous connaissez le racisme ou le sexisme, ces discriminations dont souffrent nos sociétés ? A celles-ci s’en ajoute une troisième, l’âgisme : la discrimination des personnes âgées.
La politique actuelle perçoit les personnes âgées comme étant des personnes dépendantes, diminuées aussi bien physiquement que mentalement qui ne peuvent plus rien apporter à la société. Elles sont un poids à entretenir jusqu’à leur mort, aussi bien pour les familles que pour l’État.
Toute discrimination implique la fabrication d’un ghetto : la catégorie de personnes discriminée est enfermée dans un cliché, tel que celui développé en introduction (légèrement exagéré et caricaturé). Et s’il ne s’agissait que de préjugés… La politique, en étant âgiste, a en quelque sorte donné vie au cliché qu’elle avait sur les personnes âgées !
© Olivero
Ave Cesar, ceux qui vont mourir te saluent
On observe qu’en vieillissant beaucoup de gens deviennent passifs, ne participent plus à la société et s’isolent chez eux. Mais existe-t-il seulement des dispositifs, des espaces dans lesquels ces personnes peuvent s’exprimer, communiquer et échanger avec la société dite « active » ? Ce n’est pas tant que l’âge les aurait rendus inactives, mais qu’il ne leur est pas fournit les moyens de satisfaire leur désir de participer à leur manière.
LE VIEUX, CETTE ESPÈCE QUE L’ON N’AIME PAS
C’est ainsi que des personnes en pleine forme physique et mentale se sont retrouvées du jour au lendemain, sous prétexte qu’elles étaient passées à la retraite, isolées de la société et considérées avant l’heure comme grabataires.
Ce ne sont plus des personnes mais des « petites madames » et des « bons monsieur ». On leur parle tout doucement, on leur explique qu’elles n’ont pas tout à fait compris ceci ou cela et on ménage leurs efforts. La condescendance de ceux qui sont encore dans la catégorie étincelante des « actifs » projette son ombre étouffante sur les personnes âgées. On guette alors pour vous les signes du vieillissement : « quand vous étiez petit », disiez-vous ?
© Là-haut, de Pixar
Souriez, vous êtes observé
Les personnes âgées se trouvent propulsées dans le moule bien chaud du cliché du vieux qu’on leur a préparé depuis leur retraite. Et les voilà qui vieillissent avant l’heure.
On s’occupe et on perçoit la personne âgée comme un enfant (un vieil enfant), sauf que cet enfant ne représente aucun investissement dans le futur pour une société dans laquelle seule la phase active compte. Les personnes âgées représentent des poids en puissance, lents, lourds, et chers.
Dans les faits, c’est complètement autre chose : peu de personnes de plus de 60 ans sont dépendantes (moins de 10%). Sur 10 millions de 60 ans et plus en France, cela fait beaucoup de citoyens en pleine forme, actifs, soutiens de famille, investis dans des associations, pratiquant des activités sportives, ludiques, artistiques…
Autant dire que le stéréotype de la personne âgée grabataire dans l’imaginaire collectif est loin d’être proche de la réalité. Il est donc temps de reconnaître la place et l’apport du vieux dans nos sociétés vieillissantes !
LE VIEUX, CETTE ESPÈCE QUI NE TRAVAILLE PAS
Il existe beaucoup de termes pour désigner un vieux : personne âgée, senior, aîné, grand-père/mère… Parce que cette catégorie de personnes nous échappe totalement. En réalité, elle nous échappe car elle n’est ni bien comprise ni bien représentée en politique.
Un vieux, lors de cette conférence, c’était une personne âgée de 55 ans et plus, c’est-à-dire tout autant une personne proche de l’âge de la retraite, donc du passage entre la vie active et la vie passive, qu’une personne très âgée et obligée de faire appel à des auxiliaires de vie pour effectuer les gestes de tous les jours.
Cela fiche déjà un bon coup à la représentation commune de la personne âgée : la personne âgée, c’est aussi celle qui vient de passer à la retraite. Autrement dit, cette catégorie couvre deux âges de la vie qui n’ont pas grand-chose à voir entre eux, si ce n’est le fait que ces personnes ne travaillent plus (on pourrait presque y rajouter les chômeurs, sans trop perturber la cohérence du raisonnement).
Or, dans nos sociétés, ne pas ou ne plus travailler, c’est mal. La société est comme coupée en deux : les actifs et les passifs, et ce découpage s’effectue à partir d’une certaine conception du travail qui est particulièrement discriminante.
Le travail valorisé est celui qui s’inscrit dans un système capitaliste, c’est-à-dire un travail sur lequel on peut faire un bénéfice. Un travail bénévole et gratuit n’est donc pas perçu comme un travail en soi, mais comme une occupation solidaire.
C’est bien dommage, parce que c’est précisément via ce travail-là que les personnes âgées veulent et peuvent s’investir dès la retraite et participer à la société le plus longtemps possible.
La politique à l’égard des personnes âgées est donc entièrement à revoir : elle doit viser l’équilibre, la réciprocité et la complémentarité entre les âges. Une mixité des âges dans toutes les structures, que ce soit le logement, les activités, la culture, le sport, l’espace, la vie de quartier, avec des aménagements prévues pour les personnes les plus fragiles.
Un échange intergénérationnel sous la forme d’accompagnement scolaire, d’échange de savoir-faire et de compétences, de connaissances en tout genre. Une campagne éducative antidiscriminatoire qui travaillerait l’image, les représentations des personnes âgées. La création de lieux sociaux où se mélangeraient tous les âges et la création d’associations afin de mener à bien toutes ces idées.
Tout est à inventer. Pour lutter contre la dynamique d’exclusion des personnes âgées, lutter contre leur isolement en pensant différemment les âges et la fin de la vie, une politique d’actions volontaristes permettrait de transformer notre regard sur les vieux au quotidien. Nous sommes tous pour leur autonomie le plus longtemps possible, sans isolement. Pour cela il faudrait sortir d’une conception binaire de la société (actif/passif, jeune/vieux), basée sur une vision du travail réduite et discriminante.
Allez donc aider ce vieux à traverser la chaussée, profitez-en pour lui parler. Vous verrez alors dans ces yeux briller une lueur qui n’attendait qu’à être rallumée. A moins que vous ne vous retrouviez à vôtre tour enfermé dans un cliché, celui de « jeune con ».
Un bel article très complet qui soulève des questions importantes, notamment sur l’aménagement urbain peu adapté aux personnes âgées… Et de façon élargie, au personnes à mobilité réduite ou en situation de handicap ! La ville – et la vie de façon générale – est faite pour les personnes actives et indépendantes… Et discriminent de fait celles qui ne le sont pas ou moins…
On se sent vieux – c’ est subjectif- lorsque notre vie n’ a plus de sens – à nos yeux . Et lorsque nous ne ressentons plus de plaisir , ce qui est subjectif aussi . Ce qui est terrible , c’ est de ne pas pouvoir éteindre doucement la lumière , lorsque nous le souhaitons . On nous oblige à jouer les prolongements , ce que nous faisons de bonne grâce , lorsque notre état de santé et nos ressources économiques le permettent . Mais si nous sommes malades et/ ou pauvres en plus de vieux , laissez- nous au moins partir en douceur avec une anesthèsie générale sans réanimation.