Peut-on être objectif sur soi ? A la découverte de Paul Diel

L’adage populaire nous dit que nous ne pouvons être objectif sur nous-mêmes. Pourtant, le penseur Paul Diel soutient l’inverse : nous pouvons être objectifs autant qu’il est possible de l’être pour la perception humaine.

La pensée de Paul Diel s’avère particulièrement féconde pour nous permettre de saisir l’intérêt de l’introspection et du travail sur nous-mêmes.

Paul Diel (1893-1972) est un psychologue français d’origine autrichienne, philosophe de formation, qui a approfondi sa propre recherche psychologique avec une conception originale : la psychologie de la motivation. Son approche de la psychologie a donné naissance à plusieurs ouvrages : La psychologie de la motivation, ouvrage qui porte le nom de son système de pensée principale, Le symbolisme de la Bible, Le symbolisme dans la mythologie grecque, et bien d’autres encore.

« Votre œuvre, écrira Einstein à Paul Diel en 1935, nous propose une nouvelle conception unifiante du sens de la vie, et elle est à ce titre, un remède à l’instabilité de notre époque sur le plan éthique ».

Vous l’aurez compris en préambule, la psychologie de la motivation de Paul DIEL est une psychologie introspective. En contradiction avec l’esprit scientifique de son époque, qui prônait partout l’objectivité, comment cette méthode pourrait-elle ériger la subjectivité au niveau d’une science ?

Le point de départ

Pour lui, la joie de vivre, le bonheur, se réalisent dans la satisfaction d’un désir essentiel. Et ce désir est satisfait si l’ensemble de mes désirs sont réunis et harmonieux entre eux. Les deux désirs principaux de l’être humain, le désir de propagation (se reproduire) et le désir de conservation (rester en vie), étaient jusqu’alors facile à obtenir. Du moins, si ce n’est facile, relativement clair à définir pour les synchroniser.

Mais que deviennent ces désirs au XXe siècle à l’époque de Paul Diel, et désormais  en 2024 ?

Le désir de propagation se transforme en une quête de la meilleure école pour ses enfants ou par la meilleure éducation à apporter. Il se transforme en un besoin de sécurité pour sa progéniture mit à mal par un climat de terreur, qu’il s’agisse d’attentats ou du réchauffement climatique.

Le désir de conservation lui, est désorienté par la multiplicité des sollicitations que nous recevons chaque jour. Repensez au film « 99 francs » (2007) avec l’acteur Jean Dujardin : l’œil humain n’a jamais été autant sollicité que dans les temps modernes. Ce désir de conservation, qui se résumait à dormir au chaud et manger à sa faim, s’est transformé pour vouloir le dernier matelas ou tester le dernier restaurant à la mode.

Nos désirs devenus des envies capricieuses se sont également éloignés de nos besoins que du raffinement, qui pourrait encore s’entendre comme légitime. C’est ce que Paul Diel nomme : la vanité de nos désirs. Chez lui, il faut entendre vanité dans le sens de vain, vide, sans but.

C’est précisément parce que nous sommes de mauvais conseillers pour nous-mêmes, que non seulement nous nous trompons dans la façon de satisfaire nos désirs, mais aussi que nous nous aveuglons sur la débilité de nos choix. Comment s’y prend-t-on ? Nous fuyons la réalité, et alors c’est l’évasion, ou alors nous nous inventons des justifications.

Mais alors, comment devenir objectif sur nous-mêmes ?

La méthode de Paul Diel

Dans cette recherche du désir essentiel, la quête de l’harmonie est une activité permanente, qui s’effectue sans nous, inconsciemment. Tout l’objet de la méthode de Diel est de porter à la conscience, ce qu’il appelle nos délibérations intimes. C’est-à-dire, le calcul intérieur que nous effectuons pour juger de la valeur de nos choix et, finalement, de notre vie.

Nous sommes tous soumis à cet imperturbable calcul donc. Mais de la même façon que nous pouvons modifier notre alimentation ou notre activité physique pour améliorer notre santé, et ce sans voir un diététicien ou être suivi par un coach sportif, Paul Diel nous livre des moyens d’agir, par nous-mêmes, sur nous-mêmes. Voici sa méthode.

Les évasions concernent 3 pulsions :

–       matérielle,
–       sexuelle,
–       et spirituelle.

Les fausses justifications se manifestent selon des lignes de force appelés les 4 catégories de la fausse motivations : la vanité (surestime de soi) et la culpabilité exaltée, c’est-à-dire excessive (sous-estime de soi), qui en est la conséquence. Ces deux tendances sont projetées sur le monde extérieur en accusation (sous-estime de l’autre) ou à l’inverse en sentimentalité (surestime de l’autre). Ce qui peut se résumer comme ceci :

(Image extraite du site https://www.psychanalyseintrospective.org/psychologie-dielienne)

Compliqué ? Rien ne vaut l’exemple. Prenons un homme dont les valeurs affichées ou supposées sont celles de la fidélité et de la famille. Voilà qu’il agit contre ses valeurs en trompant sa femme. Il ressent de la culpabilité et se sous-estime puisque son calcul intérieur, consciemment ou non, lui dit : « Bouhh ! Pas bien !! » ( en bas à gauche du tableau).

Mais plutôt que de se remettre en question, il va modifier son système de valeurs : « Ce n’est pas moi qui agit mal, c’est la société qui n’a pas les bonnes valeurs. Dans cet autre pays, les hommes ont plusieurs femmes. ». Vous reconnaissez maintenant l’accusation ( en haut à droite) qui va venir « compenser » la culpabilité. En bref, ce n’est pas moi qui suis défaillant, c’est juste que je ne vis pas dans le bon pays.

Attention, aucun jugement de valeur ici, prenez simplement en compte qu’il s’agit de mauvaise foi. Vous arrivez à vous mettre à sa place ? A ressentir le détour qu’il emploie pour se sortir tant bien que mal de sa culpabilité ? Nous y sommes. Chacun de nous use d’artifices similaires pour beaucoup d’autres sujets. Comme par exemple, postuler que réduire les inégalités entre les hommes et les femmes est une utopie pour ne pas avoir à affronter le problème, ou répondre que la France n’émet que 2% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde pour ne pas faire sa part. Ces différentes justifications visent à échapper à toute forme de culpabilisation, même sensée.

L’introspection, une philosophie de vie

La grille de lecture de Paul Diel nous aide à nous orienter dans nos choix de vie, comme une boussole à laquelle se fier.

Dans un monde qui met constamment à l’honneur les extravertis, les plus éloquents et les plus bruyants, la psychologie de la motivation nous propose de plonger en silence dans notre intériorité pour venir y débusquer les fausses motivations.

Exigence d’honnêteté à l’égard de soi-même comme à l’égard des autres, cette méthode basée sur une analyse introspective de soi mène à une philosophie de vie adéquate pour les défis modernes. Elle nous demande d’éviter l’accusation. De prendre nos responsabilités vis-à-vis des autres, tout en prenant soin de notre environnement.

Faire le point sur nos motifs d’actions, en d’autres termes, nos raisons d’agir,  nous mène droit vers l’amour de soi, et de toute altérité, sans « sentimentalité ».

De la compréhension de soi pour aller vers l’autre, et enfin s’engager dans la société, cette grille de lecture donne à nos choix une orientation saine. Une orientation qui ne manque pas de nous interpeller en tant qu’espèce. Et si l’être humain était guidé par de fausses motivations, voudrions-nous le savoir ?

Par le biais des plus grands auteurs à travers l’histoire, la philosophie n’a cessé de nous dire que la lucidité sur nous-même conditionne notre rapport au monde. A travers son œuvre, Paul Diel s’est proposé d’en poser les conditions.

Devant les nombreux défis auxquels nous devons faire face, notamment ceux environnementaux, éthiques, sociaux (devrais-je rajouter : spirituels ?), la philosophie de Paul Diel offre de comprendre les liens entre adoration religieuse, émerveillement esthétique et étonnement scientifique, qui se retrouvent chez lui comme des formes sublimées de l’effroi.

A l’heure où de plus en plus de monde parle d’écologie intérieure comme remède à notre rapport au vivant sclérosé, la psychologie de la motivation pourrait bien être une alliée puissante.

 

Bibliographie :

Paul DIEL, La divinité

Pail DIEL, La peur et l’angoisse

Paul DIEL, La psychologie de la motivation

 

Un article par Christopher Bénil Toutes ses publications

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Articles similaires

Commencez à saisir votre recherche ci-dessus et pressez Entrée pour rechercher. ESC pour annuler.

Retour en haut