Quoi ?
Dans la sixième des Méditations Métaphysiques, Descartes s’interroge sur la relation entre le corps et l’âme. Après avoir découvert que l’esprit est capable de fonder son existence (ce qui est communément appelé le « cogito » cartésien), il dégage plusieurs enseignements de la nature, notamment sur le rapport entre le corps et l’esprit. Afin de comprendre ce rapport, Descartes passe par une comparaison avec un pilote et son navire.
Pourquoi ?
De par la voix de la raison qui nous habite, nous savons que nous avons des obligations – obligations positives (tu dois) et négatives (tu dois ne pas). Or, l’obligation se distingue de la contrainte : tandis que je ne peux pas me soustraire à la contrainte, je peux me soustraire à l’obligation.
Contrairement au pilote, qui n’est pas en symbiose avec son navire, je suis – en tant qu’être doué d’une âme – en symbiose avec mon corps, et je lui suis “tellement confondu et mêlé, que je compose comme un seul tout avec lui ».
En cas d’accident, le pilote constate qu’il y a une déchirure sur telle voile ou un trou à tel endroit de la coque ; or, en cas d’accident, je ne constate pas qu’il y a ici une déchirure musculaire ou là une plaie béante qui nécessite des points de suture, mais, plutôt, je vis ces blessures.
Plus haut dans les Méditations métaphysiques, Descartes distingue au sein des êtres humains :
- la “chose pensante” (res cogitans), le fait que nous sommes un esprit qui pense et produit des idées ;
- la “chose étendue” (res extensa), c’est-à-dire le fait que j’ai un corps.
Mais « avoir » et « être » sont-ils synonymes ? Avoir un corps, est-ce pareil qu’être un corps ? Il ne faut pas s’y tromper ! Je n’ai pas un corps au sens où j’ai un navire, je ne suis pas propriétaire d’un corps comme je suis propriétaire d’un navire : « Ce n’était pas aussi sans quelques raisons que je croyais que ce corps (lequel par un certain droit particulier, j’appelais mien) m’appartenait plus proprement et plus étroitement que pas un autre ».
Qui ?
À ceux qui oublient qu’un corps est toujours lié à une âme ; comme, par exemple, certains des médecins qui s’occupent d’Élise, le personnage principal d’En corps (2022), réalisé par C. Klapisch.
Ces médecins réifient le corps de la danseuse, au sens où ils le considèrent sur le modèle de n’importe quelle autre chose étendue – oubliant alors qu’il s’agit d’un corps lié à une âme, c’est-à-dire oubliant qu’il est, tout en même temps que corps vivant, corps vécu.
Le parcours qu’Elise accomplit démontre que si mon corps est certes une chose étendue (res extensa), pareil à un navire, il n’est cependant pas seulement tel : il est, en outre, étroitement lié et même mêlé à la chose pensante (res cogitans), support de mon « je ».
À ceux qui, au contraire, oublient qu’ils ont un corps : nos émotions sont des indices qu’il le faut écouter pour comprendre cette relation particulière de notre esprit à certaines parties de la matière.
Comment ?
Ne pas oublier de prêter attention à ses sentiments !
Étymologiquement, les sensations de mon corps sont des sentiments, c’est-à-dire ce qu’on éprouve au-dedans de soi, en première personne. Or, ce qui arrive à mon corps n’est pas seulement senti, mais éprouvé – la faim, la soif sont des épreuves. C’est dès lors par la voie du sentiment que mon corps se trouve mêlé à mon âme.
Ce qui donne…
Ce corps qui est mien fait partie de moi, irréductiblement.