Quoi ?
Bien qu’elle soit en réalité apocryphe, la citation « tu dois donc tu peux » signifie que c’est dans et par la moralité – c’est-à-dire les devoirs – que je prends conscience de ma liberté ; telle est une des thèses de la Critique de la raison pratique.
La Critique de la raison pratique (1788) fait suite à la Critique de la raison pure (1785) et précède la Critique de la faculté de juger (1786). Par ce triptyque, Kant entreprend d’étudier la raison et ses limites. La Critique de la raison pratique considère la raison au prisme de la moralité : l’enjeu est de cerner ce que l’être rationnel doit faire, c’est-à-dire ce qui s’impose à lui. Et, ce qui s’impose à lui, en morale, c’est le devoir. Le devoir, chez Kant, c’est l’action morale – cette action que l’individu réalise pour elle-même et non en vue de ses conséquences.
Faire du devoir la marque de la liberté, voilà qui est étonnant ; non ? En effet, le devoir n’est-il pas plutôt associé à la contrainte et à ce qui, pour ce que cela entrave mes faits et gestes, nuit à ma liberté ? Lorsque je prends conscience de ce que des devoirs m’obligent, je prends conscience de ce que je n’y suis pas contraint mais obligé et, de fait, qu’il tient à moi d’agir par devoir ou non.
Pourquoi ?
De par la voix de la raison qui nous habite, nous savons que nous avons des obligations – obligations positives (tu dois) et négatives (tu dois ne pas).
Or, l’obligation se distingue de la contrainte : tandis que je ne peux pas me soustraire à la contrainte, je peux me soustraire à l’obligation.
Par exemple, chutant, je ne peux pas soudainement décider de désobéir à la loi de la gravité et rester en lévitation, alors que, dans un autre exemple, je peux décider de mentir et, en cela, désobéir au devoir moral par excellence.
Kant part du constat que nous n’avons pas immédiatement connaissance de notre liberté :
- premièrement, nous ne la pouvons pas connaître par les concepts, puisque le premier concept qui vient est une saisie par la négative de la liberté : est libre ce qui n’est pas empêché et qui n’est pas dépendant ;
- secondement, nous ne pouvons pas non plus la connaître par l’expérience, puisque celle-ci nous donne accès à des phénomènes régis par des lois qui leur sont extérieures (contraintes) – comme les lois de la physique, par exemple.
Je ne saurais être sujet à la moralité si je n’étais libre, c’est-à-dire capable de m’autodéterminer – c’est ce que Kant entend par « liberté pratique ». Par suite, si je suis un sujet pouvant faire preuve de moralité, c’est que je suis libre.
Qui ?
Kant prend l’exemple d’un homme qui dit ne pas pouvoir – au sens de n’être pas capable de – réfréner son penchant à la luxure et qui se dit en être esclave.
Cet homme dira pourtant par la suite être capable de résister à son inclination s’il est menacé d’être mis à mort après avoir assouvi sa pulsion : il entend ici la voix de la raison pratique, qui lui intime d’œuvrer à la sauvegarde de sa propre vie.
Et, ce faisant, l’homme découvre que c’est librement qu’il a depuis toujours suivi son penchant à la luxure, auquel il pensait pourtant être asservi. Il se découvre maître de lui-même et, donc, libre.
Comment ?
La loi morale ne peut être imposée qu’à une volonté libre, c’est en cela que la moralité est la marque de la liberté.
Les commandements de la loi morale ne s’adressent pas à l’être non-rationnel : c’est parce que je suis doué de raison que je dois, et donc que je peux. Le pouvoir et le devoir sont ainsi imbriqués de la manière dont la liberté et la moralité le sont.
Ce qui donne…
C’est en visant effectivement la moralité que tu réaliseras pleinement ton humanité !
