Le courage peut-il nous sauver ?

Notre époque serait-elle celle du découragement ? L’Histoire ne cesse de s’accélérer et le monde de se complexifier, au point qu’il est presque devenu une lapalissade que de rappeler le contexte de crise dans lequel nous évoluons. Crise sanitaire, politique, sociale, écologique, économique… Reste-t-il un seul pan de nos sociétés qui ne soit pas au bord de l’effondrement ? L’angoisse semble appesantir notre quotidien, qui se réduit à des réflexes de survie dépourvus de tout espoir, écrasé par les flux d’information et par une complexité toujours plus croissante. Dans de telles conditions, comment ne plus juste survivre, et réussir à vivre pleinement ?

Parmi toutes les vertus que l’on peut mobiliser pour nous accompagner, peut-être que le courage fait partie de celles qui semblent les moins évoquées dans les différents courants du développement personnel aujourd’hui, au profit de termes comme la volonté, la résilience ou encore l’audace. Pourtant, revenir à ce concept pourrait bien être une piste fructueuse pour aller de l’avant ou, tout du moins, tenir bon en ayant l’espoir de voir un jour la fin de l’orage.

Le courage, un concept dépassé chargé de culpabilité ?

L’exploration du concept de courage ne saurait se passer d’une interrogation bien légitime sur l’intérêt qu’il peut représenter et les limites qu’il peut avoir. Est-il bien utile d’imposer une injonction supplémentaire sur la façon dont nous devrions nous comporter face à l’existence, rajoutant ainsi un sentiment de culpabilité sur nos épaules déjà bien chargées ? Nous sommes déjà écrasé·e·s par de multiples injonctions au bonheur et à l’épanouissement personnel, au point que certains parlent de « dictature du bien-être ». Il nous appartient de veiller à nous améliorer en tant que personne, à prendre soin de nos relations, être un bon partenaire, un bon parent, un bon ami, travailler dur et, dans la foulée, à gérer notre début de burn-out et notre dépression, avec par-dessus le marché encore trouver le temps de faire du sport et de manger cinq fruits et légumes par jour. Dans ce contexte, avons-nous encore besoin que l’on rappelle notre responsabilité individuelle face à ce qui nous arrive ? De venir nous asséner que notre bonheur ne dépend que de nous-mêmes ?

Par ailleurs, les discours politiques n’aident pas à réhabiliter ce concept. Le courage peut vite apparaître comme un instrument de plus au service du pouvoir et des classes dominantes afin de nous réduire au silence. Ta vie est difficile ? Tais-toi et sois courageux ! Ce sont des mécanismes à l’œuvre que l’on peut repérer dans les pires discours visant à dénoncer l’assistanat, avec ce que cela implique comme déresponsabilisation du politique au profit de la culpabilisation des individus sur leur situation. On voit bien que dans une telle perspective, ce message apparaît difficilement acceptable.

Car, comme tout grand concept qui a profondément marqué notre culture occidentale et qui a été mobilisé à maintes reprises au cours de l’Histoire, le courage peut être interprété différemment en fonction des fins politiques visées. Cela s’observe d’autant plus que le courage renvoie à des émotions et des qualités individuelles, qui seraient intrinsèques à chacun. Ces mécanismes nous incitent à penser de façon binaire : soit on est courageux·se, soit on est lâche. Et, bien évidemment, personne n’a envie d’être stigmatisé et mis dans la catégorie de ceux qui ne parviennent pas à gérer leurs vies de façon digne.

Alors, le concept de courage peut-il encore apporter quelque chose pour nous, êtres désœuvrés du XXIe siècle, errant péniblement dans une existence empoisonnée de cynisme, et pleinement conscients des limites de nos capacités d’agir ?

Inspirés notamment par la lecture de La fin du courage (2010) de Cynthia Fleury, et aussi cette citation de Hannah Arendt, qui nous dit dans La crise de la culture que « Le courage libère les hommes de leur souci concernant la vie au bénéfice de la liberté du monde », j’aimerais proposer une relecture du concept de courage, afin de montrer qu’il peut aider à cultiver notre élan vital, et que ses bénéfices vont bien au-delà de notre échelle individuelle. Il s’agit alors de redonner au courage sa dimension collective et politique – et non pas politicienne.

Marcher main dans la main avec la peur

Le mot « courage » est dérivé du latin cor, qui peut être traduit par le cœur. En tant que force qui permet d’agir face à l’adversité, sans pour autant tomber dans la témérité impulsive et irréfléchie, le courage peut être perçu comme une forme d’intelligence du cœur.

Le courage a pour particularité de mobiliser une forme de vitalité que nous avons en nous, au point que certains penseurs comme Descartes ne le considèrent non pas comme une vertu mais comme une passion (Article 171 des Passions de l’âme, 1649). Le courage s’inscrit dans le cadre d’idéaux que nous poursuivons, d’une quête de justice et de vérité. Être courageux, c’est également un acte public, qui peut s’exprimer dans nos actions et le fait d’assumer nos opinions. Ainsi, être courageux·ses est plus que l’expression d’une simple volonté, c’est faire preuve d’intégrité, être fidèle à nous-mêmes, à nos valeurs. C’est continuer de porter ce en quoi nous croyons, même face à la peur et à la tempête.

On comprend alors pourquoi des penseurs comme Aristote (Ethique à Nicomaque) ou Jankélévitch (Le sérieux de l’intention. Traité des vertus I) ont établi le courage comme étant la vertu morale sur laquelle toutes les autres reposent. Sans courage, sans cette intelligence du cœur qui éclaire nos actions et porte nos valeurs, pas de prudence ni de sagesse possible.

Nos imaginaires collectifs ont façonné une conception héroïque du courage, se manifestant en particulier dans des contextes guerriers. Ces imaginaires tendent à représenter également la peur comme une émotion paralysante, nous rendant impuissants pour agir. Le courage apparaît nécessaire pour ne plus ressentir la peur et affronter les dangers qui nous font face. Cela sous-entend que le courage s’opposerait à la peur, et que pour permettre à l’un d’exister il faut supprimer l’autre…

Pourtant, il s’avère que peur et courage sont indissociables. Rappelons que la peur est une émotion, qui nous rend conscients d’un danger réel et concret qui se trouve face à nous, et que, en tant qu’émotion, elle n’est ni négative, ni positive. C’est une forme d’état de vigilance, un réflexe de survie instinctif qui se manifeste en nous. Le courage quant à lui est une façon d’appréhender la peur que peut générer une situation. S’il n’y a pas de peur, il n’y a pas besoin d’être courageux.

Les principaux ennemis du courage seraient plutôt l’anxiété et le ressentiment. L’anxiété nous paralyse face à un avenir incertain sur lequel nous faisons des hypothèses, qui est par définition le plus pur produit de notre esprit. Le ressentiment quant à lui nous amène à être bloqués dans le passé, à ressasser les difficultés, et percevoir notre existence sous le prisme des échecs et des blessures qui nous ont été infligés. Enfermés dans un passé chargé de regrets, face à un futur anxiogène, il ne reste plus que la mélancolie. Au milieu de tout cela, ce qu’on oublie c’est le temps présent, qui est pourtant le seul sur lequel nous sommes en mesure d’agir directement et concrètement. Le courage est un moyen de nous ancrer dans le présent, sans oublier le passé ni pour autant le laisser nous retenir, pour agir en faveur d’un avenir envers lequel nous avons espoir.

Le courage, en tant que disposition et posture que l’on adopte face à un risque, ne peut pas connaître l’échec – ni la victoire. Ce qui compte, c’est l’acte d’être courageux·ses en lui-même. Aussi, le courage est à la portée de tous. Son champ d’application est très large, il concerne autant la capacité à vivre que celle de mourir. Être courageux·ses, ce n’est pas seulement cette figure du héros grandiloquent qui sauve le monde. Parfois, juste se sauver soi-même est déjà un exploit. Le courage se manifeste aussi au jour le jour, dans les petites actions discrètes, les prises de décisions difficiles, où nous faisons le choix de suivre nos valeurs quand tout nous contraint à les abandonner. Cette quotidienneté implique que le courage n’a rien d’extraordinaire.

S’entraîner chaque jour au courage

Quand la mélancolie et la perte d’espoir nous envahissent, il ne nous reste même plus la peur pour nous donner une impulsion de vie. L’abandon paraît être la seule solution. Seulement, si ce sentiment est individuel, il n’est pas sans impact sur le collectif.

Car être courageux·ses à notre échelle individuelle, c’est aussi porter un espoir pour le collectif. C’est parce que nous ne sommes pas indifférent·es à ce qui nous arrive et aux conséquences qu’a sur nous la course du monde, que nous sommes en mesure de voir que nos valeurs sont en train d’être trahies. En ressentant la peur dans notre chair, nous sommes alors en mesure de mobiliser l’élan vital du courage. Ces actions individuelles, portées par le cœur et l’espoir, sont à la source de toute solidarité et volonté de contribuer à la construction d’un monde meilleur.

Peut-être que le courage, s’il est fondamental pour nous porter dans l’existence, est aussi le plus difficile à convoquer. Lorsque l’on souhaite « bon courage » à quelqu’un, c’est lorsque cette personne est confrontée à une situation difficile. On doit alors s’encourager à être courageux. Le courage, ça ne se décide pas rationnellement, ça se travaille de l’intérieur.   Aussi, nous ne sommes pas tous égaux face à la peur, et nous ne sommes donc pas tous égaux face au courage. Le courage étant guidé par nos propres valeurs et espoirs, il ne se manifeste pas de la même façon d’une personne à l’autre.

Alors, comment réussir à trouver le courage ? Cynthia Fleury dans La fin du courage nous donne trois règles pour nous aider (p. 9-10) :

–     « Première règle : pour reprendre courage, il faut déjà cesser de chuter. Même si nous savons faire plusieurs choses à la fois, parfois il est utile de se concentrer sur l’une d’entre elles. Donc d’abord cesser de chuter. »

–     « Deuxième règle : retrouver la vitalité. Celle de l’organisme avant celle de l’âme. Pour reprendre courage, il faut accepter de prendre son temps. D’être patient avec soi-même. Il faut guérir le corps alors qu’il paraît sain. Comprendre qu’il y a une santé plus profonde. »

–     « Troisième règle : il faut chercher la force là où elle se trouve. […] Chercher la force là où elle est et la recevoir, l’accueillir en soi, puisqu’il n’est plus possible de la créer. Dans un premier temps, sans doute se coller à elle, se mettre dans son sillage. »

Ces quelques règles nous rappellent que notre existence est faite de discontinuités et de ruptures, où mélancolie et courage s’enchaînent de façon cyclique. Cela implique que si les périodes de découragement sont inévitables, l’échec non plus n’est pas définitif. Et que nous sommes toujours en possibilité de demander de l’aide, où qu’elle soit. Nous pouvons être courageux un jour, sans parvenir à l’être à nouveau le lendemain. Si être courageux nous donne l’énergie intérieure nécessaire pour agir, il est également éprouvant. Ce n’est jamais acquis, il faut sans cesse le cultiver, le remobiliser. Le courage n’est pas un sprint, mais une course de fond.

Et vous, de quel acte de courage pouvez-vous faire preuve dès aujourd’hui ?

 

Pour aller plus loin :

  • La fin du courage, Cynthia Fleury
  • Ethique à Nicomaque, Aristote
  • Le sérieux de l’intention. Traité des vertus I, Vladimir Jankélévitch
  • La crise de la culture, Hannah Arendt
  • Les Passions de l’âme, Descartes

Un article par Marianne Mercier Toutes ses publications

Un commentaire pour “Le courage peut-il nous sauver ?

  1. Merci pour cet éclairage si riche Marine !
    tellement utile pour aider certains à changer de paradigme
    J’ai lu  » Vaincre ses peurs » de Luc Ferry, ouvrage didactique qui m’avait ouvert sur l’idée du courage;
    Encore merci

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