Quoi ?
Notre pensée préexiste-t-elle aux mots par et dans lesquels nous l’exprimons ? Ou, au contraire, les mots de notre langue façonnent-ils notre pensée ? Faut-il penser pour parler ou parler pour penser ? A moins que ce ne soit en parlant que nous pensions et en pensant que nous parlions…
Tel est le questionnement que soulève cette citation de Hegel, tirée de L’Encyclopédie des sciences philosophiques (tome III).
Écrire que « c’est dans les mots que nous pensons », c’est suggérer qu’il n’y a pas de pensée véritable hors des mots de la langue.
La pensée ne préexiste pas à la langue et à ses formes (les mots), car c’est en parlant – fût-ce en soliloquant – que je pense. Je ne peux donc pas penser en dehors des mots, car ils sont non seulement ce qui donne forme mais encore ce qui donne chair à ma pensée. Sans mots, nulle pensée.
Pourquoi ?
Si la pensée préexistait, dans le sujet, à la langue qu’il parle, alors cette dernière serait un moyen au service de cette première ; je me servirais d’une langue pour exprimer ma pensée comme d’un marteau pour enfoncer un clou. Le clou préexiste au marteau et à ses coups et continue d’exister une fois celui-ci écarté ; le clou est clou indépendamment du marteau.
Or, pour Hegel, il n’en va pas ainsi de la pensée : la pensée n’est pas pleinement pensée indépendamment des mots. Entendons ici que la langue n’est pas tant le matériel de la pensée que son matériau ; la langue est la pensée.
Dans la tradition philosophique, l’être humain est défini comme un être « doué de logos » (Aristote). Logos, en grec ancien, signifie à la fois « langage » et « raison ». Là, il apparaît alors que le langage – et donc les langues – et la raison sont intrinsèquement liés. Si nous sommes, en tant qu’êtres humains, des êtres de langage, nous sommes tout autant des êtres de pensée.
Qui ?
Celui ou celle qui apprend une nouvelle langue : apprendre une langue qui m’est étrangère me demande des efforts, entre autres pour ce qu’il me faut modifier ma manière de penser et en apprendre une nouvelle.
Celui ou celle qui est interloqué par la féminisation de la langue française : dire « une autrice » ou « une auteure » pour une femme ferait entendre l’égalité entre les femmes et les hommes, tandis que dire « un auteur » pour une femme sous-entendrait qu’elle est à une place d’homme et, de fait, qu’elle ne serait pas à sa place. Pour ce mouvement, les évolutions de la langue apparaîtraient donc bien comme levier d’évolution des mentalités.
Comment ?
Que les pensées d’un sujet dépendent des mots de sa langue donne prise aux manipulations idéologiques, comme dans la propagande des Etats totalitaires ; inculquer au peuple un certain vocabulaire, c’est l’amener à adopter certaines pensées et à en rejeter d’autres.
Soit l’exemple des chefs de ces Etats, qui ont été appelés « guides » (Duce, pour Mussolini ; Führer, pour Hitler ; Vojd, pour Staline) : ces désignations connotent que ce sont là des modèles et, donc, des personnalités auxquelles se rallier plutôt que résister.
C’est encore cette méthode de propagande que donne à lire G. Orwell dans 1984, avec la novlangue ; appauvrir la langue pour endiguer les pensées hostiles à l’idéologie du régime. Que les foules puissent être manipulées, dans leurs idées mêmes, par un appauvrissement ou par toute autre modification de l’idiome est la manifestation de ce que « c’est dans les mots que nous pensons ».
Ce qui donne…
Élargir son vocabulaire, apprendre des langues qui nous sont étrangères, c’est ouvrir et enrichir notre pensée !